Actualités apicoles 2019-11

Par Benoît Manet

L’automne s’installe et prend des couleurs.

Ce 23 octobre, le Parlement européen a réclamé par un vote écrasant que soit revu la réforme adoptée cet été sur l’évaluation des risques environnementaux que font subir les produits phytosanitaires, notamment pour ce qui est des abeilles et des pollinisateurs. La Commission avait fait l’impasse discrètement sur une possible réforme des tests permettant d’évaluer les pesticides en considérant les abeilles et les pollinisateurs sauvages. Cette décision balayait tout le travail de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et des scientifiques qui ont œuvré à documenter cette problématique.

Pour bien comprendre, un retour dans le temps est nécessaire. Depuis les années ’90, des problèmes de désorientation, d’effondrement/disparition sont observés dans les ruchers. Ces troubles apparaissent en même temps que de nouveaux insecticides neurotoxiques sont mis sur le marché. Ces produits connus sous le nom de néonicotinoïdes sont utilisés notamment dans une application particulière de la protection des végétaux qu’est devenu l’enrobage des semences. Avec cette assurance totale, plus de pulvérisations. La culture est protégée pendant tout son cycle. Malheureusement, cette forme de protection a ses revers. Seule une petite quantité de l’insecticide est utilisée. Le reste (l’essentiel) se retrouve dans l’environnement : dans les sols bien sûr où ils peuvent persister comme tel ou sous la forme de dérivés durant plusieurs années, dans les cultures suivantes, mais aussi hors de la parcelle ainsi que dans l’eau. Ceci se traduit insidieusement par des effondrements en cascade : les populations d’insectes s’en ressentent, les populations d’oiseaux des plaines agricoles sont en recul, sans parler des poissons, des batraciens, des vers de terre, … Au départ dénoncé par les apiculteurs, ces troubles qui affectent des pans entiers de la biodiversité sont à présent également pointés du doigt par les biologistes de la conservation.

A considérer la toxicité de ces produits 1 et leur impact, la question se pose de savoir comment ils ont pu passer le cap des évaluations, étape indispensable à la commercialisation de ces nouveaux fleurons de l’agrochimie. Les tests, en plus d’être menés par le demandeur, ce qui met en difficulté l’impartialité des résultats, se réfèrent à des normes qui s’appuient sur la mortalité d’un échantillon des espèces de référence 2. Cette procédure toxicologique se voit en décalage par rapport au modèle-abeille dont le fonctionnement apparaît bien différent des autres espèces testées. Voici plus de 10 ans, un petit groupe d’apiculteurs a essayé d’éveiller l’instance chargée des évaluations, l’EPPO 3, à cette difficulté. Mais leur mode de fonctionnement et leur proximité avec le monde de l’agro-chimie s’est fermé à toute forme de réforme, aussi justifiée soit-elle 4. Ce n’est que plus tard, dès 2012, au regard de tout ce qui a été publié sur le sujet, que la Commission admettait que ces protocoles étaient obsolètes. Elle chargeait l’EFSA de procéder à la mise en place de normes plus adaptées via des tests complémentaires pour tenir compte des effets sur la reproduction, les effets synergistes et cocktail, la toxicité chronique et son impact sur les larves et les différentes castes. Ainsi apparait en 2013 l’idée de mener des « tests abeilles » capables d’évaluer correctement tous les effets des pesticides sur les insectes pollinisateurs (abeilles domestiques mais aussi bourdons et abeilles solitaires). Ces différentes propositions sont refusées par un comité représentant la Commission et les ministres de l’agriculture des différents pays (SCoPAFF) sous prétexte que le changement de normes met en péril le modèle existant. Aux dires des fabricants et selon leur propre analyse, ce serait alors plus de 80% des produits agréés qui se verraient interdits. Entre 2014 et 2018, le « test-abeille » a été mis à l’ordre du jour 20 fois pour débat– en vain. Et de négociation en négociation, la proposition s’est finalement détricotée pour ne retenir que ce que l’agrochimie réclame au minimum minimorum : ne retenir que la toxicité aiguë telle qu’elle apparait dans les tests actuels, abandonner les tests de toxicité chronique sur les larves d’abeilles ainsi que l’ensemble des tests sur les bourdons et les abeilles solitaires en attendant d’énoncer de nouvelles lignes directrices. En juillet dernier, l’EFSA était invitée à revoir sa copie pour juin 2021, permettant de gagner du temps, de reporter l’issue du débat et d’imposer de nouvelles recherches. Les Etats membres se réfugient ainsi derrière la Commission pour maintenir ce système qui, en même temps qu’il dégrade notre environnement, met en faillite l’expertise publique. D’où cette réaction remarquée du Parlement demandant de prendre la protection des abeilles au sérieux en évaluant les risques conformément aux standards scientifiques actuels et aux progrès des méthodes développées en écotoxicologie.

Parfois, la mise sur le marché de telle ou telle molécule pose question. Ainsi, le thiaclopride, un insecticide de cette famille des néonicotinoïdes commercialisé par Bayer et qui, pour ces derniers, serait le moins nocif pour les abeilles. Cependant, à l’usage, sa persistance semble beaucoup plus forte que prédit, dans ce qui est du pollen ou nectar rentrés à la ruche. Tout comme dans les eaux souterraines où il semble se retrouver. Ses propriétés de perturbateur endocrinien et de toxique pour la reproduction humaine l’ont automatiquement fait mettre dans la liste de ces produits pour lesquels des alternatives doivent être trouvées. La licence de commercialisation venant à échéance en avril 2020, la Commission chargée des renouvellements de licence avait à se prononcer. Mais face à cette charge d’accusations, le comité réuni le 22 octobre dernier a finalement décidé de ne pas en renouveler l’autorisation. Cette décision vient s’ajouter à l’interdiction adoptée en avril 2018 qui concernait déjà 3 produits de cette famille : la clothianidine, l’imidaclopride et le thiaméthoxame.

Pour quelles alternatives ? Tout comme dans le débat au sujet du glyphosate, l’argument phare est de dire que pour assurer des rendements corrects ainsi qu’un revenu suffisant à l’exploitant agricole, il est indispensable de pouvoir disposer de produits permettant de garantir une production performante. Mais pas à n’importe quel prix. Le recours à ces molécules mortelles dans ce qu’elles ont de garantir une protection intégrale menacent dangereusement la présence d’espèces liées à des services que sont la pollinisation ou le contrôle des ravageurs. Si on y ajoute les composantes liées à l’intensification et l’homogénéisation des paysages, le risque d’érosion de la biodiversité se fait de plus en plus pressant. Une étude internationale publiée ce 9 octobre dans la revue Science Advances 5 fait la synthèse de situations rencontrées au sein de près de 1500 parcelles cultivées et de 27 cultures dans des contextes culturaux et des pays différents. Pour ce qui est de la pollinisation, les espèces étaient identifiées et comptabilisées. Au terme de cette analyse, il apparaît que la simplification des paysages liée à l’intensification limite le rôle des pollinisateurs qui pourtant explique 30% de la contribution. Leur diversité et leur abondance apparaissent comme des mesures additives. Les abeilles domestiques et les pollinisateurs sauvages sont un soutien indéniable aux cultures et la lutte chimique a des effets négatifs tant sur leur maintien que celui de leur nourriture. Cette perte qui s’étend à l’ensemble des insectes se répercute aussi dans les comptages d’espèces qui y sont liés comme les oiseaux insectivores. Mais une autre étude parue au même moment dans la revue de la Royal Society 6 va plus loin. Des plantes cultivées comme le colza offrent un meilleur rendement dans les récoltes ainsi qu’une meilleure rentabilité financière lorsque la stratégie d’un meilleur respect des pollinisateurs se traduit par une réduction importante des pesticides. Ce qui peut paraître pour une évidence l’est moins quand on considère les habitudes de traitements. Les agriculteurs font l’objet de freins et de pressions, les guidant vers une lutte chimique optimale afin de limiter les risques, la plus souvent conduite par le diktat des filières agro-industrielles. L’étude menée entre 2011 et 2016 dans la plaine des Deux-Sèvres (France), ce que les chercheurs du CNRS appellent leur zone-atelier au sein de 294 parcelles agricoles liées à 142 exploitations démontre que les abeilles rapportent plus que les pesticides. Lorsque l’agriculteur opte pour une diminution sensible des produits de traitement, outre une augmentation de rendement de 40%, la marge brute de la culture s’en trouve augmentée de 120 EUR à l’hectare notamment du fait du coût moindre en pesticides. Ces résultats montrent que dans certains cas l’agro-écologie peut être une réponse aux enjeux environnementaux auxquels sont soumis les agriculteurs. Le bénéfice se fait dans une relation win-win.

Comme dit en prélude, l’automne prend de ces couleurs cette année !

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. L’imidaclopride est ainsi de l’ordre de 7000 fois plus toxique que l’insecticide DDT, pourtant retiré du marché depuis plusieurs décennies.
2. DL50 utilisée en toxicité aiguë
3. L’EPPO est une organisation européenne pour la protection des plantes et dicte la façon d’évaluer le risque des produits phyto sur l’environnement.
4. Cette anecdote est rapportée dans le livre récent de Stéphane Foucart, 2019. « Et le monde devint silencieux. Comment l’agrochimie a détruit les insectes » – chapitre 4 « Truquer les normes. » Il relate l’initiative de ce qui devint la Coordination apicole européenne, puis plus tard BeeLife.
5. Dainese M. & al. 2019. « A global synthesis reveals biodiversity-mediated benefits for crop production. » Science Advances: Vol. 5, no. 10, eaax0121 DOI: 10.1126/sciadv.aax0121 https://advances.sciencemag.org/content/5/10/eaax0121
6. Rui Catarino, Vincent Bretagnolle, Thomas Perrot, Fabien Vialloux & Sabrina Gaba, 2019. Bee pollination outperforms pesticides for oilseed crop production and profitability. Proceedings of the Royal Society London B – 9 octobre 2019. https://doi.org/10.1098/rspb.2019.1550
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