Multiplier

Les mois d’avril et mai sont décisifs pour la conduite de nos colonies.

Nous avons vu dans un article précédent qu’une bonne gestion des cadres de corps et de la hausse constituait déjà un moyen de lutte contre l’essaimage. Toutefois ce moyen n’est pas radical et les colonies populeuses resteront tentées par l’aventure, surtout si la reine a deux ans ou plus.

Certes il reste toujours possible de laisser essaimer les colonies ; mais quel apiculteur a la certitude de pouvoir reprendre ses essaims ? Mieux vaut donc utiliser le dynamisme de la colonie à d’autres fins.

Multiplier plutôt qu’acheter…

Pose des bigoudis dans la ruche éleveuse

Pose des bigoudis dans la ruche éleveuse
By François Godet [CC-BY-NC-3.0]

ou que laisser essaimer !

La constitution de ruchettes permet tout à la fois de maîtriser l’essaimage, de renouveler le cheptel et de multiplier les colonies. Ce dernier point revêt une particulière importance en ces temps difficiles pour l’apiculture : cette année encore, les pertes hivernales sont loin d’être négligeables, et nombreux sont les apiculteurs qui ont cherché sans succès des colonies pour repeupler l’un ou l’autre de leurs ruchers. Rappelons à ce propos que le commerce international de « matériel biologique » (c’est à dire de reines ou de colonies) n’est pas sans risque : certains parasites ou agents pathogènes voyagent avec les abeilles, ce qui justifie les précautions à prendre en la matière, qu’elles soient légales (obligation d’un certificat international (décision 2000/462/CE, voir GBPA p23) ou simplement recommandées (mise en quarantaine des abeilles avant l’introduction au rucher). En outre, l’usage d’abeilles locales reste toujours à conseiller : une lignée d’abeille qui a donné de bons résultats sous un autre climat ne sera peut-être pas pleinement adaptée au nôtre… Multiplier vaut mieux qu’acheter, et évite de laisser essaimer… Faisons donc d’une pierre deux coups, et vive les ruchettes !

La ponte prodigieuse

La ponte de la reine, en principe nulle en hiver, reprend peu après le solstice et peut atteindre 1800 œufs par jour début mars – en d’autre termes, la reine peut pondre à ce moment 2 à 2,5 dm2 de couvain (selon la dimension des cellules) : que de travail pour les nourrices ! En six semaines le nombre d’individus de la ruche va tripler ; puis, la population étant à son sommet (entre 60 et 90 000 abeilles), la surface de couvain se stabilise. Le travail des nourrices diminue alors et le nombre de butineuses augmente : c’est à ce moment que les colonies vont préparer l’essaimage. Et c’est cette dynamique de la colonie qu’il nous faut mettre à profit pour constituer des ruchettes avant l’essaimage, mais pas trop tôt, car un prélèvement précoce privera la colonie de la dynamique décrite ci-dessus. Ces opérations se font pendant la pleine miellée de printemps – colza-pissenlit – car c’est à cette époque que le prélèvement des cadres est efficace en prévention de l’essaimage et est le moins préjudiciable à la production (avec un peu de chance, le couvain « perdu » est celui qui aurait fait des butineuses pendant le trou de miellée).

Quelques principes guideront le choix de la méthode.

  • Pour obtenir de bonnes cellules royales, il faut les faire élever dans des ruches aussi populeuses que possible ; ce n’est que dans ces conditions que les reines auront toutes les chances d’être bien nourries. L’idéal est donc de faire élever dans la ruche-mère.
  • Les butineuses reviendront toujours à la ruche d’origine. Si celle-ci contient plusieurs cellules royales, il y a danger d’essaimage secondaire, ce qui est toujours à éviter car ces essaims sont difficiles à maîtriser. Donc : ou bien on y supprime toutes les cellules royales sauf une ; conserver alors une cellule ouverte, seul moyen d’être sûr qu’elle est vivante ! Mais la choisir aussi près de l’operculation que possible. Ou bien on place les cadres munis des cellules royales dans une ruchette et on écarte celle-ci de la ruche-souche pour en évacuer les butineuses.
  • Il y a toujours danger à ne conserver qu’une seule cellule royale dans une colonie car la reine unique qui y naîtra peut présenter un problème ou être perdue dans le vol de fécondation. Donc : si vous voulez renouveler vos reines sans faire d’élevage de reines et sans avoir recours aux cellules d’un éleveur, mieux vaut pratiquer les méthodes 1, 2 ou 3 ci-dessous. Par contre, si vous utilisez des cellules d’élevage, mieux vaut pratiquer la méthode 4.
  • Lorsqu’on constitue une ruchette à partir d’une ou de plusieurs ruches, les cadres allant dans la ruchette sont remplacés par des cires gaufrées. Toutefois, ceux-ci ne seront pondus que si la reine s’y trouve ! Eviter donc de laisser des cires gaufrées dans une ruche dont la reine a été ôtée, sans quoi ces cadres de corps ne seront bâtis que pour être occupés par du miel qui sera perdu pour la hausse ; et des cires risquent de rester non bâties, faisant cheminée pour l’air froid ce qui n’est pas bon pour la colonie.
  • Une reine non marquée se trouve facilement dans une ruchette peu peuplée ; en revanche, dans une grosse ruche de production, il est parfois très difficile de la trouver. Or, on le verra, travailler sans recherche de la reine n’est pas sans inconvénient… Il faut donc marquer ses reines juste après fécondation, dans sa ruchette ; celle-ci sera ensuite réunie ou agrandie pour constituer une nouvelle ruche.

Constituer une ruchette

Voyons maintenant les différentes méthodes qui permettent de constituer une ruchette ; elles dérivent des principes exposés ci-dessus.

  1. En l’absence de fièvre d’essaimage, sans recherche de la reine.
    Placer la ruchette juste à côté de la ruche et y mettre quatre cadres issus de la ruche: un de couvain operculé (abeilles naissantes, idéalement) ; un de couvain ouvert pour que la ruchette puisse élever des cellules royales si la reine ne s’y trouve pas ; deux de nourriture, dont un au moins comporte une belle plaque de pollen. Dans la ruche d’origine, les cadres prélevés sont remplacés par deux cires gaufrées placées de part et d’autre du nid à couvain, qui est regroupé. Neuf jours plus tard, il n’y aura plus de couvain ouvert que dans celle des deux colonies où se trouve la reine ; l’autre colonie aura élevé en sauveté. 

    • Si la reine est dans la ruche on la laisse en place et on écarte la ruchette.
    • Si la reine est dans la ruchette, il vaut mieux alors inverser les cadres de la ruchette et de la ruche. Pour ce faire, on se munit d’une nouvelle ruchette, on ouvre la ruche, on place dans la nouvelle ruchette deux cadres munis de cellules de sauveté entre deux beaux cadres de nourriture (issus de la ruche ou de la première ruchette) ; on supprime dans la ruche toutes les autres cellules royales et on y replace les cadres avec la reine (veiller à ce que la reine reste entre ses abeilles pour éviter qu’elle soit tuée dans l’opération). La ruche conserve donc la reine avec les cires gaufrées ; la seconde ruchette conserve les cellules royales, elle est écartée. La première ruchette est vidée de ses abeilles et rangée.
  2. En l’absence de fièvre d’essaimage, avec recherche de la reine
    La ruchette est placée juste à côté de la ruche. La reine va dans la ruchette avec deux ou trois cadres de couvain, deux cadres de nourriture et une cire gaufrée. Les cadres restant dans la ruche sont placés au milieu de celle-ci entre des partitions – les abeilles ne construiront pas de bâtisses folles dans les espaces restés libres car la reine n’est plus avec elles. La hausse reste en place, avec ses 10 ou 12 cadres, pas de problème ! Neuf jours plus tard, on procède comme en b) ci-dessus : les cadres de la ruchette prennent place dans la ruche et vice-versa ; la ruche est complétée avec des cires gaufrées pour être portée à 9 ou 10 cadres suivant la force de la colonie. La ruchette est écartée. Vous pouvez profiter de l’opération pour séparer aussi complètement que possible les cadres operculés de ceux de couvain ouvert : Varroa ne s’en portera que plus mal, pour notre plus grand bien.
  3. En présence de fièvre d’essaimage, avec recherche de la reine
    Lorsque des cellules royales sont présentes dans la colonie, il faudra toujours rechercher la reine car celle-ci ne peut rester avec les cellules royales, sinon la colonie essaimera.
    Sortir de la ruche deux cadres de couvain fermé avec les plus belles cellules royales, et deux beaux cadres de nourriture. Détruire toutes les cellules restant dans la ruche et remplacer les cadres sortis dans la ruchette par trois ou quatre cires gaufrées suivant la force de la colonie. Ecarter la ruchette.
    Si l’on cherche à multiplier le cheptel, on peut aussi diviser la colonie en trois ou quatre ruchettes, chacune contenant un cadre avec cellules royales, ; ces ruchettes sont placées en éventail à la place de la ruche-mère pour recevoir les butineuses.
  4. En l’absence de fièvre d’essaimage, multiplication de colonies avec cellules royales d’élevage.
    C’est le système utilisé par les professionnels, qui font cette opération plusieurs fois dans la saison. Dans ce cas de figure une ruchette est constituée à partir d’une ou plusieurs ruches donneuses. Prélever dans les ruches d’origine, selon leur force et l’état de leurs provisions, un ou deux cadres de couvain operculé et/ou un ou deux cadre de nourriture, les remplacer par une ou deux cires gaufrées suivant la force de la colonie. A partir des cadres prélevés on constitue les ruchettes en y mettant : un cadres de nourriture (miel/pollen); deux cadres de couvain bien operculé, et au besoin les jeunes abeilles d’un cadre de couvain, une partition. Les cadres de nourriture peuvent être remplacés par un cadre bâti et un nourrissement au sirop. Les abeilles sont pulvérisées d’eau sucrée, éventuellement aromatisée (citronnelle, thym…) afin de faciliter l’acceptation (car on mélange des abeilles originaires de plusieurs ruches) ; la cellule royale est introduite. Le tout est écarté à plus de 3 km ou mis trois jours en cave puis ramenées au rucher ; ceci pour éviter que les abeilles ne retournent à la ruche d’origine.
    On constitue ainsi plus de ruchettes, mais avec un pourcentage de réussite un peu moindre que lorsque les ruchettes sont plus importantes.

Et ensuite ?

Les reines naissent 7 à 8 jours après operculation de la cellule ; elles sont fécondées entre le cinquième et le vingtième jour après leur naissance, et entrent généralement en ponte entre le troisième et le dixième jour après fécondation. Donc : le début de la ponte prend place en théorie dans une fourchette allant de trois à six semaines après constitution de la ruchette ; en pratique, quinze jours après la naissance elle doit être en ponte s’il a fait beau. Après ce délai, si la ponte n’a pas eu lieu il faudra réunir car la reine a péri ou bien n’est pas féconde.

Marquez vos reines après la ponte ! Comme dit plus haut, cela rend la gestion des ruches bien plus aisée ! Et n’oubliez pas que vos ruchettes 6-cadres doivent porter votre nom et votre adresse, sauf si votre rucher est identifié, et être inscrites dans votre registre des données de base (concrètement : il vous faut faire une fiche pour ces nouvelles colonies, ou inscrire dans votre carnet la date de leur constitution) (GBPA p. 24).

Une ruchette 4 ou 5 cadres constituée à la miellée de printemps peut donner sa hausse en été. Si on souhaite utiliser les ruchettes pour rémérer, on les réunira aux ruches d’origine après la miellée d’été. Pour cela, se munir d’une plaque (lamellé-collé par exemple) couvrant la moitié de la ruche. Visiter la ruche, tuer la reine, poser sur la ruche une feuille de papier journal percé de trous à la fourchette du côté du nid à couvain. Placer la ruchette au-dessus du papier journal, achever la fermeture de la ruche avec la plaque, veiller à ce que l’ensemble soit à l’abri de la pluie (un plastique au-dessus du tout par exemple), attendre quelques jours : les débris de papier journal sur le lange du plateau vous diront que la réunion est faite… personnellement je n’ai jamais eu de problèmes avec ce système. Si le fond de vos ruchettes n’est pas amovible, les cadres issus de la ruchette seront placés dans un corps de ruche prenant place au-dessus du papier journal, et limité par une partition.

Au reste, si vous avez des colonies en excès, il y a certainement preneur dans votre voisinage. En ces temps où certains d’entre nous souffrent durement des pertes, un peu de solidarité ne fait pas de tort à l’apiculture… et le dynamisme de nos abeilles nous en fournit amplement l’occasion. Bon succès dans votre élevage !

D’autres infos sur les ruchettes ? Voir les ActuApi 14 (2001) et 33 (2006), disponibles sur le site du CARI :  http://www.cari.be/actuapi/2010
Fiche revue des sections – avril 2010