Actualités apicoles 2017-11

Par Benoît Manet

Les belles découvertes apparaissent parfois là où on ne les attend pas. Dans l’optique de développer des alternatives aux traitements d’été contre varroa, différentes techniques apicoles ont été éprouvées émanant surtout de la filière bio (producteurs professionnels de miel et de gelée royale). Une d’entre elles essaie de simuler l’hiver en été en proposant un traitement en absence de couvain mais en pleine saison. Cette innovation, arrivée d’Italie où elle était utilisée déjà depuis 2008, consiste à isoler la reine soit dans une hausse placée sous le corps de ruche, soit plus récemment dans des cagettes plus ou moins grandes afin de libérer le corps de ruche de tout le couvain et permettre ainsi un double traitement flash à l’acide oxalique capable d’affecter les seuls varroas phorétiques1 restants. Dans l’utilisation des cagettes, une d’entre elles – la cagette Scalvini – est un peu apparue par surprise car un problème de fabrication a permis son utilisation-test dès 2013 auprès de différents groupements apicoles français du Sud. Elle a l’avantage d’occasionner peu de pertes de reine lors de la libération, notamment parce que celle-ci peut continuer à pondre dans les amorces de cellules couvrant le fond de la cagette alors que l’espace entre le fond de la cellule et la grille est insuffisant pour permettre le développement d’un couvain. Les ouvrières éliminent les larves au fur et à mesure et renouvellent ainsi de l’espace pour la ponte de la reine.

La période d’encagement doit évidemment dépasser les 21 jours pour que la colonie soit sans couvain au moment du traitement. La reine libérée se remet à pondre immédiatement et la génération d’abeilles qui en découlera sera celle qui assurera l’élevage des abeilles d’hiver de qualité. La colonie reprend son activité avec une belle vitalité. En conséquence, l’encagement doit être effectué suffisamment tôt, c’est-à-dire sous nos latitudes idéalement dès fin juin sans que cela n’affecte la miellée. Pour faire connaître la méthode et la proposer en Wallonie2, le Cari a proposé une série de conférences sur le sujet ainsi qu’un achat groupé. Un retour d’expériences est attendu afin d’évaluer les difficultés rencontrées. En voici un recueilli sur la liste Abeilles3 communiqué par Jean-Robert Deliège de Latinne (entre Huy et Hannut) qui a sympathiquement accepté qu’il soit rapporté ici :

« Je travaille avec du tout venant. Mais comme je suis entouré d’une majorité d’apiculteurs travaillant en Buckfast, les miennes ont tendance à se « Buckfastiser » au cours des années. Je laisse mes colonies se reproduire chaque année (méthode Snelgrove) et je sélectionne ce qui me convient le mieux. Cette année, j’ai opté avec mes 4 colonies de production pour la méthode qui utilise la cagette Scalvini et le traitement à l’acide oxalique.
Déroulement chronologique des opérations :
15/7 : Mise en re-léchage des hausses ;
16/7 : Retrait des hausses re-léchées. Mise en cagettes Scalvini des reines et insertion des cagettes au centre de la ruche. Pose d’un nourrisseur et départ de la stimulation au sirop léger (1/1) ;
26/7 : Fin de la stimulation au sirop léger et début du nourrissement au sirop lourd (5/3) ;
02/8 : Fin du nourrissement au sirop lourd ;
10/8 : Retrait des cagettes Scalvini. Application du 1er traitement à l’acide oxalique (par pulvérisation). Libération des reines dans les ruches ;
13/8 : Visites internes des 4 colonies traitées. La ponte a bien repris sur les 4 colonies (2 cadres avec des œufs sur une surface de la taille d’une paume). Vu les 4 reines ;
15/8 : Application du 2ème traitement à l’acide oxalique (par pulvérisation) ;
28/8 : Visites des 4 colonies traitées (en présence de l’AFSCA). La ponte s’est intensifiée sur les 4 colonies (couvain ouvert et fermé sur 7 cadres contenant nourriture pour moitié en moyenne). Aucune reine n’a été remplacée ;
23/9 : Visites internes des 4 colonies traitées. Le couvain ouvert et fermé est maintenant sur 8 cadres dans les 4 colonies. Aucune reine n’a été remplacée.

Relevé des faits saillants et bilan
La mise en cagette de la reine (si celle-ci est marquée) n’est pas trop compliquée. Par contre, insérer la cagette sur le cadre exige minutie et précision. Sinon la cagette ne tient pas et bascule de travers. On est alors obligé d’utiliser une brindille pour caler celle-ci entre les cadres. La pulvérisation de l’acide oxalique est facile. Sur mes 4 colonies, 3 avaient des reines de 2016 et 1 avait une reine de mai 2017. J’ai suivi de près (1 visite interne / semaine) 1 des 4 colonies (avec reine de 2016). J’y ai observé à chaque visite la présence d’œufs du jour dans la cagette et la réduction du couvain jusqu’à sa disparition complète avant libération de la reine. La colonie n’a jamais montré de signe évident de stress ou de mal-être. Lors de l’opération de libération de la reine (le 10/8), les 3 colonies avec leur reine de 2016 ne présentaient aucune anomalie. Par contre, dans la colonie avec sa reine de mai 2017, j’y ai retrouvé 1 cellule royale ouverte (reine libérée) ainsi qu’une cellule royale avec une larve d’environ 6 jours (sans doute issue d’un œuf transféré par les ouvrières de la cagette vers le cadre d’en face). J’ai donc visité complètement cette colonie et n’y ayant pas trouvé de jeune reine, j’ai donc osé y libérer la reine de mai 2017. Trois jours plus tard la reine de mai 2017 était toujours bien là. Je ne suis pas matériellement (faute de temps) équipé pour évaluer la charge en varroas de mes colonies (avant et après traitement) et donc je ne peux vérifier objectivement l’efficacité du traitement ainsi réalisé4. Mais lors des jours qui ont suivi les 2 traitements à l’acide oxalique, j’ai pu observer sur les tiroirs sous plancher la forte dégringolade de varroas que j’estime supérieure à celle observée suite au traitement avec Thymovar l’an passé. Cette technique de traitement à le désavantage (technique), par rapport à l’insert d’Api(var/stan), d’engendrer beaucoup de chipots mais le résultat est bien là, les varroas dégringolent substantiellement. Malheureusement je pense que cette technique est tout à fait hors de portée pour les apiculteurs qui ne disposent pas de reines marquées5. »

Il est à rappeler que, réglementairement, l’utilisation de l’acide oxalique est soumise à prescription d’un vétérinaire obtenue sur base d’une consultation ou d’une guidance. Le document remis par le vétérinaire6 est à conserver 5 ans au sein du registre de production. Ne l’oublions pas !

Depuis 3 années, les automnes sont marqués par un déficit en pluviosité. Cette année a également connu des températures de 2 degrés en plus que les moyennes saisonnières. Une partie de cette période particulièrement agréable, expliquée en partie par le passage de l’ouragan Ophelia au centre de l’océan atlantique, s’est conjuguée avec la floraison des parcelles agricoles semées en après-culture avec de la phacélie ou de la moutarde. Dans les colonies les plus fortes régnait une ambiance de miellée avec une activité de butinage impressionnante se soldant le soir par une forte ventilation tel un soir de juin. A l’intérieur, tous les cadres du corps étaient gorgés de récolte (nectar et pollen), le dessus des cadres blanchis et garnis de folles bâtisses comme si la colonie attendait une hausse. Des gains de plus de 5 kg ont été enregistrés durant la deuxième décade d’octobre sur des ruches placées sur balance. Et évidemment de s’interroger, d’une part, de la qualité de ces apports issus de parcelles traitées, et par ailleurs, de l’incidence des ces apports tardifs sur le devenir des colonies. Alors que les abeilles préparées spécifiquement pour assurer la période hivernale sont en pleine activité de butinage et de soins au couvain, on peut imaginer que leur sort n’en sera que raccourci. D’autres apparaîtront plus tardivement au départ de larves bien nourries et deviendront les réelles abeilles d’hiver7. Parviendront-elles à garantir la survie des colonies jusqu’au printemps ? Ceci reste une question cruciale pour comprendre les causes de mortalité vécues durant l’hiver avec des effondrements soudains et inexpliqués.

Cette survie des colonies est aussi une des préoccupations de l’Afsca qui a poursuivi cet automne une série de visites de ruchers. Dans le prolongement du programme de surveillance « Healthy Bee », l’Agence a repris le monitoring de santé des abeilles de façon permanente en l’intégrant au Plan fédéral Abeilles 2017-2019. Un nouveau cycle de 3 visites a démarré chez 200 apiculteurs sélectionnés – dont plusieurs d’entre nous – par une première visite cet automne. Une deuxième et troisième visites sont prévues au printemps et en été de l’année prochaine. Les colonies seront contrôlées sur le plan sanitaire par l’examen du couvain et de leur vitalité. Un échantillon de miel est également prélevé pour effectuer une analyse des résidus chimiques présents dans la ruche. Les traces de pesticides détectées dans le miel peuvent représenter un risque au niveau de la santé humaine mais surtout dans le maintien des populations d’abeilles. Elles sont un bon indicateur du niveau de contamination de l’environnement. Les abeilles sont à ce niveau des « sentinelles de l’environnement » très efficaces. Une étude publiée dans la revue Sciences au début octobre (et Abeilles & Cie n°180 (septembre-octobre)) fait apparaître un risque alarmant pour les pollinisateurs : des chercheurs suisses ont mesuré la concentration de 5 insecticides néonicotinoïdes dans des miels issus des cinq continents. 75% des échantillons contenaient au moins une des molécules testées. En Europe, c’est le thiacloprid qui est le plus représenté. Près de la moitié des échantillons dépassaient la valeur de 0,10 ng/g pour laquelle un effet néfaste est démontré pour les abeilles. L’étude ne remet pas en cause la qualité du miel mais démontre que ces insecticides sont omniprésents dans l’environnement et ne sont pas compatibles avec le maintien des populations de pollinisateurs et des services offerts. L’interdiction de ces molécules est d’ailleurs de plus en plus amenée dans le débat politique. Le moratoire d’interdiction partielle demandée par l’Europe en 2013 arrive à son terme et une réévaluation devrait amener la décision avant la fin de cette année. Certains pays anticipent d’ailleurs les débats en prenant des décisions courageuses en dépit des pressions et jeux d’influence exercés par les firmes de l’agrochimie. Vu les enjeux financiers, les fabricants ne sont pas sans solution : d’autres molécules apparaissent en remplacement de celles qui sont interdites, quitte à modifier les règles par une révision de la classification de ces insecticides en créant de nouvelles familles de produits pour qu’elles n’apparaissent plus parmi les néonicotinoïdes, nom peu porteur actuellement auprès de l’opinion publique. C’est ainsi que le sulfoxaflor, une nouvelle molécule insecticide vient de passer successivement les seuils des autorisations au niveau européen et français sur base de tests considérés comme incomplets et d’une tolérance édictée par cette nouvelle classification. Il a pourtant été démontré que ces nouvelles substances étaient bel et bien des néonicotinoïdes car à structure chimique différente, ils en ont les mêmes modes d’action (agissant sur les mêmes récepteurs nicotiniques du système nerveux central). Une décision de justice américaine de 2015 l’avait d’ailleurs requalifié dans cette famille d’insecticides. Cette autorisation anachronique apparaît au même moment qu’une étude menée durant 30 ans dans des réserves naturelles en Allemagne atteste de la disparition de plus de 75% de la biomasse des insectes volants8. Pour s’en convaincre, le souvenir du pare-brise de la 404 de grand-père tout maculé d’insectes au retour d’excursion n’est plus qu’une image d’Epinal. Aujourd’hui, plus d’hécatombe de ce type et ce n’est pas lié à la forme des voitures qui aurait évolué ! Il y va là aussi de suspecter l’intensification des pratiques agricoles et le recours massif aux pesticides occasionnant des pertes massives d’insectes utiles au fonctionnement des écosystèmes. Ce qui se mesure en Allemagne est certainement l’écho d’un déclin généralisé en Europe de l’Ouest. Nous fonctionnons avec des systèmes agricoles très semblables et le déclin des abeilles que nous dénonçons depuis deux décennies n’est finalement que la partie émergée d’un problème beaucoup plus vaste.

Ainsi, pour conclure, y-a-t-il dans les scandales de violence sexiste remis récemment dans le débat public une analogie des propos : destruction de la nature et oppression des femmes sont liées. Il s’agit dans les deux cas d’une violence banalisée du fait qu’elles partagent une position de domination. Une domination qui se rapporte tant au niveau du corps des femmes qu’au niveau du corps de la terre. Et de se demander : peut-on se permettre de maltraiter la nature parce qu’elle est féminine ?

A suivre …

Benoît Manet

Notes:
1. La phorésie est un type d’interaction entre deux organismes – ici l’abeille adulte et le varroa adulte – où un individu est transporté par un autre.
3. Courriel du 2 octobre 2017 sur la liste abeilles
4. Sur base des retours enregistrés au sein des groupements apicoles français, des taux de 70-95% d’efficacité sont mesurés pour 3% de pertes de reines. La proportion de varroas phorétiques est évaluée par la méthode validée au sucre glace.
5. En 2017, la couleur utilisée pour le marquage des reines était le jaune ; en 2018, ce sera la couleur rouge. Autant savoir.
6. Document d’administration et de fourniture (DAF) ou copie (jaune) de la prescription.
7. Mattila, H.R., OTIS, G.W., 2007. Dwindling pollen resources trigger the transition to broodless populations of long-lived honeybees each autumn. Ecological Entomology (2007), 32, 496–505.
8. Hallmann CA, Sorg M, Jongejans E, Siepel H, Hofland N, Schwan H, et al. (2017) More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PLoS ONE12(10): e0185809 et cet article dans Le Monde
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