Actualités apicoles 2016-03

Par Benoît Manet

Tout en tenant dans la main, elles contiennent pourtant toute la force de la vie. D’une graine immobile, il sera pourtant possible de multiplier cette force par cent ou mille. Pour cela, il faudra mourir. C’est là le jeu de la vie, mourir pour donner la vie. Un germe d’espoir en l’avenir pour perpétuer la vie de l’espèce. Les plantes ont imaginé ce moyen de propagation qu’est la graine pour se disperser dans l’espace et dans le temps. Parfois presqu’invisible, parfois bien des années plus tard, cette petite forme inerte va permettre le miracle du renouvellement de la vie. Tout y est mais ne parviendra à se réveiller de cette dormance pour reproduire une plante à l’image des parents que si les conditions de germination sont réunies. Au printemps, le sol se réchauffe et devient un germoir en puissance. La nature redémarre. Au jardin, les semis vont se suivre sans interruption. D’abord, à l’abri, puis en pleine terre, ils permettront d’obtenir quantité de légumes et de fleurs pour notre plus grand plaisir.

Graines

Graines

Depuis plus de 10000 ans, moment où les populations ont commencé à se sédentariser, les hommes n’ont cessé de sélectionner parmi les espèces sauvages des plantes nourricières à la base de l’agriculture. Quelle persévérance pour arriver à une belle demi-longue nantaise à partir de carottes sauvages. Sans doute avons-nous fait le tour de ce qui est consommable. Malgré les efforts des laboratoires, l’agriculture se repose sur les espèces végétales les plus adaptées à nos besoins. Pire, depuis quelques décennies, au nom du progrès, les compagnies semencières ont forcé la législation pour ne plus retenir que des variétés commercialisables inscrites au catalogue et fruit de sélections tournées vers les hybrides sans descendance utilisable, voire branchées vers la manipulation des gènes. Au bilan, ce sont près de 80% des variétés d’autrefois qui ont disparu (ou en voie de l’être). Ces sociétés commerciales liées directement au secteur de la chimie contrôlent 55% des semences dans le monde avec une vingtaine de plantes pour nourrir 90% de la planète que sont le blé, le riz, le maïs, le sorgho, la banane, le manioc, … dont les trois premières fournissent, à elles seules, la moitié des calories alimentaires. Triste constat qui fragilise largement l’autonomie alimentaire des populations. La conservation des variétés traditionnelles tant potagères que céréalières doit passer par une prise de conscience dont seuls quelques-uns semblent actifs pour le moment avant que ces variétés ne soient éteintes définitivement. Par exemple, il existe plus de 14000 variétés de haricots de par le monde qui constituent une base alimentaire riche en protéines au même titre que bon nombre de légumineuses.
2016 Année internationale des légumineuses

2016 Année internationale des légumineuses

En plus d’être intéressantes pour la santé au travers d’une agriculture vivrière durable, ces plantes ont un impact positif sur l’environnement. Elles sont un auxiliaire intéressant en agriculture car elles ont la capacité de fixer l’azote de l’atmosphère. De plus, certaines d’entre elles sont très mellifères. Pensons au mélilot, au sainfoin, à la luzerne, … dont la présence dans nos campagnes a disparu avec le remplacement de la traction chevaline par le tracteur. Une dépendance aux énergies fossiles que nous payons doublement par l’apport d’engrais devenus chimiques en plus d’une traction animée par le mouvement des bielles. L’importance de ces productions légumières au niveau mondial a été retenue par l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) en décrétant 2016, année internationale des légumineuses. A ce titre, mais également pour leur intérêt apicole, nous avons à leur consacrer une place de choix dans nos assiettes ainsi que dans nos jardins. Redécouvrons aussi les pois, haricots, fèves, pois chiches, lentilles, … et la façon de les préparer.

Pour leur obtention, préférons-leur le travail des producteurs de graines alternatifs qui proposent un large éventail de variétés adaptées à nos sols, nos climats. Des semenciers comme Semailles avec un catalogue de 600 variétés (y compris une série de variétés régionales) ou la jeune entreprise Cycle-en-terre méritent notre attention. Une jolie façon de soutenir un secteur en-dehors des sentiers battus.

Du côté de la production industrielle, l’habitude a été prise ces dernières années de protéger la culture de ses ravageurs au moyen d’un bouclier d’argile imbibé d’une molécule insecticide. Cette technique dite de l’enrobage vise à protéger la plante quelle que soit la pression parasitaire sans jugement d’une véritable nécessité de traitement. Cette assurance a évidemment un coût pour l’environnement avec le largage dans la nature de substances biocides dont l’essentiel vise la perturbation du système nerveux des parasites-cibles, à savoir les produits néonicotinoïdes dont les plus connus ont plutôt mauvaise presse auprès des apiculteurs pour leurs effets sublétaux. Les dernières études publiées quant à leur toxicité notamment sur les abeilles sont sans équivoque. Ce sont des produits comme le Gaucho, le Confidor, le Poncho ou encore plus récemment le Cruiser. Ces neurotoxiques font actuellement partie de l’arsenal de protection des cultures les portant au titre d’insecticides les plus vendus et les plus utilisés au monde. D’où la question de savoir comment se débarrasser de lots de semences non utilisés ? Le plus simplement du monde, en les enfouissant dans le sol. Cette façon de se débarrasser de ses stocks invendus semblait pratique courante il y a une dizaine d’années sous le nom de semis haute densité avant que la pratique ne soit réglementée par le passage en incinérateur de cimenterie. Pratique qui alors fut dénoncée par un apiculteur et relayée dans les procédures judiciaires par 2 syndicats apicoles français. Et surprise : après la mise en examen, il s’avère que la filiale Syngenta n’existe plus et a été restructurée dans ses missions et son patrimoine auprès de la maison mère. Une façon adroite d’échapper à la justice par la mise en dissolution de la filiale incriminée. Ainsi, la dispersion des activités agrochimiques au sein de sociétés multiples dépendant de grands groupes devient une stratégie habituelle qui permet de faire disparaître la société impliquée dans un scandale et d’éviter toute poursuite pénale.

Et qu’en est-il du moratoire proposé par l’EFSA dont l’échéance décidée en 2013 était de 2 ans ? Un appel à données complémentaire lancé en août 2015 doit permettre à l’EFSA de fixer son point de vue sur base d’une évaluation actualisée qui est attendue d’ici… janvier 2017 [6]. Pendant ce temps-là, les pertes continuent : plus de 30% encore l’an dernier. Que découvrirons-nous en cette fin d’hiver ? Semons l’espoir d’un printemps bourdonnant annonciateur de nombreux fruits de raison.

A suivre…

Benoît Manet

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