Actualités apicoles 2015-07

Par Benoît Manet

A quelques jours d’intervalle, Barack Obama et Ségolène Royal ont présenté respectivement un plan d’action pour « sauver » les abeilles 1.

Tavoillot Pierre-Henri et François. L’abeille (et le) philosophe

Tavoillot Pierre-Henri et François.
L’abeille (et le) philosophe

Aux Etats-Unis comme en France, on s’inquiète du sort des pollinisateurs. Dans le sens où la fragilisation de l’abeille se calque sur tout ce qui fait nos peurs et nos angoisses : globalisation, réchauffement climatique, bouleversements géopolitiques, immigration, méfaits des technosciences. L’abeille est considérée comme le miroir de l’humanité et le baromètre de son destin. A y regarder, l’abeille a joué ce rôle de modèle dans nos sociétés en la présentant comme une figure politique. Cette contemplation de son organisation, de son vol, des produits si doux en même temps que souverains, de sa défense de la cité amène à la considérer avec fascination, nous donnant des éléments de réponse à une série de questions qui donnent sens à notre vie. C’est le travail qu’ont voulu relater 2 frères – un philosophe et un apiculteur – au travers d’un ouvrage fascinant nous démontrant que par son histoire et son rapport à l’homme l’abeille est « un formidable aiguillon de la pensée » 2.

Sacre de Napoléon 1er

Sacre de Napoléon 1er

Et pour continuer sur l’approche politique, la ruche a servi à penser tous les régimes. Pour l’illustrer, actualité oblige, nous découvrons comment Napoléon Bonaparte, alors Premier consul et fin stratège, a utilisé les symboles pour marquer la rupture avec la monarchie de l’Ancien Régime. Il confie à une Commission du Conseil d’Etat la responsabilité de lui présenter une série de références. Parmi celles-ci l’aigle qui s’impose pour justifier le régime impérial mais aussi l’abeille qui a tout de l’image « d’une république qui a un chef » tout en faisant écho à l’immortalité et à la résurrection que lui défendait l’Antiquité. Elle détrônait ainsi les fleurs de lys des capétiens. Le 2 décembre 1804, jour du sacre, cette symbolique est omniprésente. Dorée, elle apparaît brodée sur le manteau impérial : 1500 abeilles ornent le velours pourpre. Mais aussi les tentures de son palais, ainsi que celles des tribunaux et administrations impériales. Trente-six villes purent par la suite honorer leurs armoiries d’une bannière représentant trois abeilles d’or lorsque leur maire avait assisté au couronnement de l’empereur ; elles étaient en cela considérées comme « bonnes villes ». Le choix de ce symbole fait aussi référence à Childéric Ier, le père de Clovis, dont les bijoux, considérés à l’époque en forme d’abeilles, avaient été retrouvés en 1653 à Tournai dans son tombeau. Ainsi, l’aigle fait référence à l’Empire romain, la couronne fait lien à celle de Charlemagne, et l’abeille est mérovingienne, la plus ancienne dynastie de France. De royale, l’abeille devint impériale, véritable héraldique en rupture avec les souverains qui l’avaient précédée. Elle sera déterminée à glorifier la grandeur des deux empires : celui des Napoléon Ier et III (jusqu’en 1870).

Ce n’est pourtant là qu’un des exemples de représentation politique : l’abeille peut être à la fois monarchique, républicaine, impériale, aristocratique, démocratique, communiste, libérale, anarchiste, figurant tous les régimes des meilleurs aux plus tragiques de l’histoire.

Exemples contemporains de ces derniers mois – L’approche politique marque toujours les débats chez nos voisins d’outre-Quiévrain. L’embarrassant dossier des néonicotinoïdes agite les Assemblées. La Commission du Développement durable a poursuivi début mai ses travaux sur le sujet des hyménoptères face aux enjeux sanitaires et environnementaux des produits de traitement en organisant une table ronde intitulée « abeilles et néonicotinoïdes » 3. Ce fut l’occasion de réentendre le Dr Jean-Marc Bonmatin, membre de la task force internationale sur les pesticides systémiques, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), des représentants du monde professionnel apicole ainsi que le Dr Michel Nicolle de l’association « Alerte des Médecins sur les Pesticides » (ALMP) qui évoquera davantage les effets de ces produits sur la santé humaine.

Plus récemment, trois députés ont poussé un nouveau cri d’alerte à l’occasion d’un forum citoyen réuni à leur initiative. Le 19 mars 2015, ils étaient déjà parvenus à faire voter un amendement lors de l’examen du projet de loi sur la biodiversité, stipulant tout simplement que « l’usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes serait interdit à compter du 1er janvier 2016 ». Seulement, voter n’a pas de conséquence si la résolution n’est pas soutenue en plus haut lieu. C’est pourquoi les trois députés ont lancé un nouvel appel à la mobilisation auprès de leurs collègues parlementaires. Car si les Ministres de l’Environnement et de l’Agriculture, respectivement Ségolène Royal et Stéphane Le Foll, sont conscients des effets délétères subis par les abeilles, ils tardent toutefois à prendre les décisions d’interdiction d’utilisation dans les campagnes françaises sous prétexte que l’Europe doit réévaluer les 3 néonicotinoïdes partiellement interdits en fin d’année. Et quid de l’après-néonicotinoïdes ?

Fuite du politique encore dans l’Affaire Cruiser où l’UNAF 4 remporte ce 30 juin dernier un procès entamé pour non-respect de la méthode d’évaluation des risques du Cruiser pour lesquels la Justice française annule les Autorisations de Mise sur le Marché (AMM). Les méthodes légales pour parvenir à obtenir les évaluations et autorisations n’ont pas été respectées. Ce jugement arrive à point nommé à un moment où « la loi d’avenir pour l’agriculture » envisage de décharger le Ministre de ses décisions en les remettant à une Agence qui se voit aujourd’hui condamnée pour violation de la réglementation. Cette décision vient avaliser la protestation de l’UNAF qui ne pouvait accepter que, comme on peut le trouver écrit dans le plan de développement durable de l’apiculture, l’effondrement de production de miel en France relève d’un manque de structuration de la filière (dixit) !

Les apiculteurs français dénoncent également les conclusions de ce plan qui se gargarise en annonçant que les objectifs prévoyant de diminuer l’utilisation des pesticides ont été réalisés à 100%. Alors que les pertes de colonies continuent d’être recensées de l’ordre de 30% dans le cadre de l’étude Epilobee.

Et en Belgique ? Même constat alors que les derniers chiffres pour l’hiver 2013-2014 portent nos pertes à 14,8% (après avoir atteint 32,4% l’année précédente !).
Une enquête de la Fédération Apicole Belge (FAB) rassemblant les déclarations de 410 apiculteurs répartis sur le territoire national pose le chiffre de 36% de pertes de colonies avec des répartitions inégales par province. Les éleveurs du Brabant wallon font état de 55% de pertes hivernales, alors que ceux du Brabant flamand de 31% « seulement ». La mortalité est de 42% à Bruxelles, 39% à Namur, 35% à Liège, 22% dans la province du Luxembourg et 27% dans le Hainaut, selon les chiffres de la FAB.

De toute façon, un taux trop élevé et inacceptable, bien au-delà du taux de perte normalement admis 5. La douceur de l’hiver et la plus grande résistance aux traitements acaricides ont certainement permis aux populations de varroas de se développer plus qu’à l’accoutumée. Mais cela n’explique sans doute pas complètement les chiffres enregistrés. Constat consternant alors que par ailleurs les aides s’étiolent : le plan fédéral abeilles s’est achevé en 2014, le plan Maya est un peu à bout de souffle budgétaire et les discussions auprès de l’AFSCA s’orientent à présent vers un cadastre des ruchers et la création d’un fonds sanitaire. Cet instrument devrait permettre de mutualiser les destructions de ruches lors de diagnostics de maladies à déclaration obligatoire comme la loque ou le petit coléoptère des ruches – dont l’apparition semble inévitable à terme – mais aussi de proposer une plate-forme d’achat groupé des produits de traitement. La contrepartie se traduira par un financement sur base d’une cotisation des apiculteurs. Moins d’aides donc pour plus de contraintes.

Alors fuite aussi de nos politiques au niveau régional ? Pour l’instant, les effets d’annonce ne manquent pas 6. Le Ministre wallon de l’Environnement, Carlo di Antonio, s’est engagé à modifier le Décret Pesticides de 2013 dans le sens d’une interdiction des (seuls) 3 néonicotinoïdes visés par l’Europe. A la nuance près que, derrière cet effet d’annonce, son interdiction vise uniquement les traitements en pulvérisation et ne concerne pas la formulation la plus critique : l’enrobage de semences. C’est dire si la liberté de traitement avec les neurotoxiques est toujours possible puisque par ailleurs les molécules les plus récentes ne sont pas visées. Au final, rien à changer dans les pratiques (mais c’est sans doute l’idée sous-jacente). En réaction, le groupe PS vient de déposer une proposition de résolution visant à interdire tous les néonicotinoïdes dès le 1er janvier 2017. Protestation immédiate des syndicats agricoles (FWA), des betteraviers (IRBAB 7) qui dénoncent cette interdiction comme une menace à leur modèle économique (sans beaucoup d’égard aux enjeux environnementaux).

Hervé Kempf. L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie.

Hervé Kempf
L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie.

Il n’y a toutefois pas d’intérêt à opposer les secteurs apicole et agricole mais plutôt à essayer de sortir de ce schéma d’oligarchie 8 imposé par les groupes agrochimiques à la société. En cela, le modèle philosophique de l’abeille reste muet et subit.

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Cfr. par exemple cet article paru dans Le Monde du 20 mai 2015
2. Tavoillot Pierre-Henri et François. L’abeille (et le) philosophe. Etonnant voyage dans la ruche des sages. Editions Odile Jacob
4. Union nationale de l’Apiculture française. (cfr communiqué de presse du 2 juillet 2015)
5. Voir Le Soir du mardi 23 juin 2015 – p. 8
6. Voir Le Soir du lundi 29 juin 2015 – p. 8
7. Voir une intéressante note documentaire technique de l’IRBAB du 16 juin 2015 sur le sujet. A noter que les références exposées liées aux risques environnementaux datent le plus souvent des années 90-début 2000. Les auteurs ignorent d’ailleurs intentionnellement dans leur bibliographie « les très nombreuses publications ayant trait à l’effet direct des néonicotinoïdes sur l’homme, les insectes utiles, neutres ou pollinisateurs, sur l’environnement en général ou ayant trait à leur utilisation dans des cultures qui sont récoltées après la floraison. » Que de chemin parcouru dans la connaissance pourtant !
8. Voir le livre de Hervé Kempf. L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie. Editions Seuil ou en Poche en collection Points.
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