Actualités apicoles 2020-01

Par Benoît Manet

MMXX. Une année nouvelle, qui de plus entame une nouvelle décennie. Une occasion pour vous souhaiter émerveillement, lucidité et sincérité.

Un sentiment que je vous souhaite à chaque fois que vous serez en contact avec les abeilles. De la passion, mais surtout de l’émerveillement chaque fois que vous irez rendre visite à vos colonies. Ouvrir une ruche est un moment privilégié où l’apiculteur doit se placer en invité pour que cette relation devienne merveilleusement magique. Un peu de fumée pour s’annoncer, et le plaisir des sens peut commencer. Le bruissement de ces besogneuses mises en alerte, l’odeur de la ruche avec la cire et la propolis qui se mélangent au doux parfum du nectar frais, le balai de ces infatigables rythmé par les allées et venues en quête de provisions renseignées par les éclaireuses. Tous les sens sont en harmonie avec la ruche. La visite peut commencer. Il en va de même lorsqu’on peut observer ces vaillantes butineuses à l’œuvre.

Au jardin ou au champ. Ou encore d’autres insectes qui entretiennent cette même relation aux fleurs. C’est un ravissement pour les yeux, les oreilles, le nez. C’est ce que Dave Goulson nous décrit 1. Il est un de ces scientifiques qui a pris la passion des bourdons. Au travers de ses recherches, il a été sensibilisé à la raréfaction des pollinisateurs et s’est fait le fervent défenseur des bourdons au point de leur consacrer une Fondation afin de tenter la réhabilitation de ces insectes dans le paysage anglais.

Tout comme de nombreux apiculteurs, il déplore le changement de paysages, l’intensification de l’agriculture, le manque de ressources qui ont affecté les populations d’une série d’espèces dont certaines étaient autrefois abondantes. Mais quand il est en contact avec la beauté de la nature, la fascination est complète.

« Si vous ne l’avez encore jamais fait, trouvez-vous une prairie fleurie. Allez-y seul, asseyez-vous dans les longues herbes et laissez-vous imprégner. Absorbez les sons : le bourdonnement des abeilles, les stridulations des sauterelles, les cris aigus des musaraignes qui s’ébattent dans l’herbe profonde, le gazouillis mélodieux des alouettes dont la silhouette se découpe dans le ciel. Savourez les parfums : de basilic, de thym et de caille-lait jaune écrasé sous vos pieds, ainsi que des fleurs tout autour de vous. Enregistrez la délicate débauche de couleurs : les mauves, les jaunes, les violets et les roses. C’est certainement ce que la plupart d’entre nous connaîtront de plus proche du paradis. »

Vient ensuite la lucidité. L’année 2019 a été marquée par de nombreuses manifestations pour le climat. Face aux prescriptions pessimistes, des citoyens vivant aux quatre coins du monde ont décidé de faire entendre leur voix. Les enjeux sociétaux et environnementaux ne sont pas si éloignés dans leur préoccupation d’un lendemain qui est censé nous enchanter. Une reconnaissance particulière est à adresser aux jeunes qui se mobilisent pour défendre leur avenir.

Dans sa tâche de transmission du savoir, l’astrophysicien Hubert Reeves ne s’adresse-t-il pas aux jeunes générations en leur proposant des pistes pour donner sens à leur vie 2. Et de conclure : « La cause qui s’impose aujourd’hui : garder la terre habitable et agréable à vivre ». Viable mais surtout vivable ! Le pire est-il à venir ?

Exemple : la perte de biodiversité s’accentue. Au monde des insectes, la situation est plus que préoccupante. A de nombreuses reprises, ont ici été relatées des études qui attiraient l’attention sur le déclin des abeilles. L’étude 3 présentée cet automne par des chercheurs de l’Université de Munich confirme que le problème est général. Là où les études précédentes s’intéressaient à la biomasse ou des espèces en particulier, celle-ci se veut généraliste. Sur 300 sites en Allemagne, les chercheurs ont montré un tiers des espèces d’insectes en moins entre 2008 et 2017, que ce soit en forêt ou en prairie. Et certaines espèces, déjà rares, semblent même avoir disparu. Lépidoptères, hyménoptères, coléoptères sont les taxons terrestres les plus touchés.

Ce constat n’est pas réjouissant car il faut admettre que, si tous les insectes n’ont pas bonne presse auprès du public, il faut reconnaître qu’une perte, tant en nombre qu’en diversité, peut provoquer des effets en cascade sur les chaînes alimentaires. Car les insectes apparaissent indispensables à la pollinisation des plantes. Ils savent aussi recycler les nutriments. Et ils servent de nourriture de base à un certain nombre d’autres animaux comme les oiseaux, les reptiles, les amphibiens ou encore les poissons. En Belgique, un rapport sous forme de liste rouge, c’est-à-dire un état des lieux pour mesurer le statut des différentes espèces d’un groupe, vient de paraître début décembre. L’exercice fait ici le point sur la situation des abeilles en Belgique (il faut comprendre ici toutes les abeilles sauvages autres que l’abeille mellifère). En comparaison avec des données historiques, plus de la moitié des abeilles de notre territoire est en perte de vitesse, soit qu’elles sont menacées ou ont disparu. C’est particulièrement vrai pour les bourdons qui ici, tout comme en Angleterre, régressent de façon notoire pour des causes essentiellement anthropiques. Or, on connait le rôle complémentaire et essentiel de ces pollinisateurs.

Nous nourrir de ce qui donne du sens à notre vie. « Dans nos relations les uns aux autres, à la nature, au beau, dans la sincérité, dans l’enthousiasme 4 ». Où il est question d’une expression fidèle des sentiments réels, par la vérité. L’étymologie (peut-être controversée) de la sincérité serait sincerus, c’est-à-dire sans cire, car cette valeur était d’abord – le sait-on encore – appliquée au monde de l’apiculture5. Dans sa récolte, il fallait que le miel soit pur, sans cire. De l’appellation du bon miel, le terme s’est ensuite appliqué à l’apiculteur lui-même et ensuite, par extension, à toute personne consciencieuse, de bonne volonté, c’est-à-dire une personne qui ne mélange pas à ses sentiments un masque de cire.

C’est dans cette vérité d’un monde à écrire, au travers des luttes mais aussi des utopies, que je réitère mes vœux d’émerveillement, de lucidité, … et de sincérité. Bonne année à vous tous !

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Goulson, D., 2019. Ma fabuleuse aventure avec les bourdons. Gaïa Editions.
2. Reeves, H., 2019. Je chemine avec Hubert Reeves. Entretiens menés par Sophie Lhuillier. Editions Seuil
3. Seibold S. & al , 2019. Arthropod decline in grasslands and forests is associated with landscape-level drivers. Nature volume 574, pages 671–674. https://doi.org/10.1038/s41586-019-1684-3
5. Seys, P., 2019. Les Tics de l’Actu. Une année sans mentir. RTBF-Musiq3. https://www.facebook.com/Musiq3/videos/311108296216933/
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