Actualités apicoles 2013-11

Par Benoît Manet

L’automne s’installe … Avec ses feuilles aux coloris dorés, emportées par le vent qui se fait plus turbulent. C’est aussi la saison des prix dont un, prestigieux, remis aux jours frais d’octobre : le Prix Nobel.

Désintegration d'un boson de Higgs

Simulation de la desintegration d’un boson de Higgs en 2 rayons de hadrons (centre, 11 heures) et 2 electrons (en bas à gauche, 5 heures) dans le detecteur CMS du LHC au CERN.
By Lucas Taylor (http://cdsweb.cern.ch/record/628469) [CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons

Et … Cocorico ! Cette année, la Belgique compte un nouveau Prix Nobel, le 11ème. Attribué sans réelle surprise à François Englert (Université libre de Bruxelles) et Peter Higgs pour leur découverte d’une particule élémentaire : le boson de Brout-Englebert-Higgs. Une découverte majeure, certes difficile à comprendre, qui permet de donner une explication à la genèse de l’univers : le boson de Higgs serait apparu 10-10 sec après le Bing Bang. Cette théorie du boson serait peut-être (avec les réserves utiles à ce genre d’expériences) à mettre en lien avec la découverte faite en juillet 2012 au CERN (Organisation européenne de recherche nucléaire).

Le Prix Nobel est une récompense de renommée internationale remise pour la première fois en 1901 suite aux instructions testamentaires d’Alfred Nobel, celui-ci ayant amassé une petite fortune pour son invention de la… dynamite. Ce prix est remis chaque année (le 10 décembre, jour de l’anniversaire de la mort d’Alfred Nobel) à des personnes, sans distinction de nationalité, « ayant apporté le plus grand bénéfice à l’humanité par leurs inventions, découvertes et améliorations dans différents domaines de connaissance (physique, chimie, physiologie et médecine) » ainsi que dans les domaines de la littérature et de la paix.

Tant de prix distribués dans les différentes branches retenues et combien en lien avec l’abeille ? Pas un nobel pour « nos belles » ? Qu’on se détrompe, l’abeille, tout comme d’autres insectes, ont marqué l’histoire de ce prix prestigieux : drosophiles, vers à soie, poux et moustiques.

On éludera rapidement Albert Einstein, Prix Nobel de physique en 1921, qui se voit, bien malgré lui, attribué la phrase « Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre »… Une histoire belge ? A peu près, du moins en est-ce l’explication donnée en tant que rumeur puisque cette phrase apparaît soudainement pour la première fois en 1994 lors d’une manifestation d’apiculteurs à Bruxelles. Cette phrase est reprise comme prononcée par Einstein sur un folder de l’UNAF: une appropriation de la place qu’occupe ce savant dans la culture collective ? Et encore replacée dans le film « More than honey » sorti il y a presque un an !

Mais en 1911 déjà, l’abeille apparaît comme sujet choisi de l’œuvre littéraire bien connue et écrite par Maurice Maeterlinck (1862-1949) (tiens, un autre belge !) qui recevra le Prix Nobel de littérature pour 3 écrits dont « La vie des abeilles ». Suivant pas à pas la vie d’un essaim, Maeterlinck évoque « cette étrange petite république, si logique et si grave, si positive, si minutieuse, si économe, et cependant victime d’un rêve si vaste et si précaire », en quelque sorte un traité de sociologie … animale.

Mais le Prix Nobel qui est le plus associé à l’abeille est certainement celui qui fut attribué à Karl von Frisch (1886-1982) en 1973. Ces travaux s’orientent dès 1912 sur l’analyse du comportement du butinage des abeilles. Ses principales découvertes concernent la mise en évidence de la perception de la lumière polarisée, l’utilisation de la position du soleil par rapport à la ruche et à la source de nourriture par les butineuses, le rôle de la vision des couleurs et de l’olfaction dans le comportement de butinage, enfin, l’analyse explicative des danses des butineuses.

Carniolan honey bee (Apis mellifera carnica) on goldenrod (solidago)

Butinage de solidago par Apis mellifera carnica
By Frank Mikley [CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons

Ces explications semblent toutes normales dans la pratique apicole aujourd’hui. Pourtant, c’est un véritable travail d’observation et d’expérimentation pendant toute une vie qui a permis d’expliciter ces comportements. Il fut en cela accompagné d’un assistant, Martin Lindauer, qui poursuivit ses travaux sur l’essaimage des abeilles, pris en relais actuellement par Thomas Seeley, de l’Université Cornell aux Etats-Unis.

L’étude des comportements de l’abeille se poursuit : l’enjeu est peut-être moins ses applications dans la pratique apicole que l’étude des perceptions, des apprentissages, de la mémoire de cet insecte si fascinant et ses connexions en matière de neurosciences1.

Pour l’anecdote, il en est un, Paul Hermann Müller (1899-1965), qui fut honoré du Prix Nobel de Médecine en 1948 pour ses travaux dans le domaine de la santé humaine par la découverte d’une substance aux propriétés insecticides utilisée pendant les guerres pour lutter contre le pou, vecteur du typhus, ou des moustiques, vecteurs de la malaria : le sinistre dichloro-diphényl-trichloréthane ou DDT.

Anopheles stephensi

Un moustique Anophèle stephensi obtient son repas d’un hôte humain à travers sa trompe pointue
By Jim Gathany (CDC) [CC-BY-SA-3.0]

Depuis, cette substance a bien sûr été retirée du marché. Cet insecticide s’accumule dans les graisses des vertébrés perturbant le fonctionnement de l’organisme, particulièrement au sommet des pyramides alimentaires. Depuis, les recherches ont mis de nouvelles molécules sur le marché aux noms malheureusement trop connus des apiculteurs. Comme par exemple l’imidaclopride qui n’est que 7297 fois plus toxique que le DDT ! Presque de quoi remettre un Prix à Monsanto : on ne croirait pas si bien dire puisque la World Food Prize Foundation, espèce de prix Nobel pour l’agriculture et l’alimentation, a honoré cette année (juin 2013) 3 scientifiques qui se sont démarqués pour leur participation au développement des organismes génétiquement modifiés : Robert Fraley, Mary-Dell Chilton et Marc Van Montagu (Université de Gand – encore un belge !) avec une implication directe pour les 2 premiers auprès des sociétés Monsanto et Syngenta. Un comble quand on sait la responsabilité que pèsent ces sociétés sur les mortalités d’abeilles.

Rien n’est parfait. Mais heureusement, si le G20 connait à chacune de ses réunions un rendez-vous intermondialiste, le Prix Nobel a aussi son pendant. En 1968, après avoir ajouté un prix d’Economie aux autres disciplines, des voix réclamèrent qu’un prix soit dédié à l’écologie et à l’environnement, ces préoccupations ne se posant pas au moment où le prix a été créé. Mais ce prix spécifique ne fut pas accepté. En réponse, un suédois Jakob von Uexkull mit sur pied un Prix Nobel alternatif dès 1980 en revendant sa collection de timbres : le Right Livelihood Award. Ce prix vise à valoriser des solutions pratiques et exemplaires pour les défis les plus urgents en matière d’environnement, de droits de l’homme, de développement durable, de santé, d’éducation et de paix, tout en gardant, point essentiel pour ce prix, un équilibre entre hommes et femmes, entre le Nord et le Sud. Une incitation à penser autrement ! A noter un rapport récent (juin 2013) de cette instance visant à repenser l’agriculture autrement, en phase avec une modernité rurale, et notamment vis-à-vis de sa dépendance aux pollinisateurs.

CARI Beecome 2013

Conférence Beecome
By CARI

Dans cette évolution du monde moderne, l’abeille a bien du mal à garder sa place. Mais face à tant de défis, et au regard de tout ce qu’elle représente en termes d’instrument de veille écologique, elle n’a jamais fait l’objet d’autant de préoccupations au travers d’études et d’actions. L’occasion de faire le point nous est offerte au travers du prochain Congrès européen d’Apiculture Beecome organisé par le CARI à Louvain-la-Neuve les 9, 10 et 11 novembre prochain.

A suivre …

Benoît Manet

Notes:
1. Si le sujet vous intéresse, sachez qu’une émission radio diffusée sur France-Inter aborde régulièrement et de façon claire les dernières découvertes en ce domaine : « Sur les épaules de Darwin », préparée et présentée par Jean-Claude Ameisen, médecin et chercheur français. En prolongement de cette émission, un livre des textes de ses émissions sur le thème des abeilles sera publié en novembre. Une idée pour le sapin ?? Diffusions podcastables à partir du site de l’émission.
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