Actualités apicoles 2013-07

Par Benoît Manet

Curieuse coïncidence que ce bousculement de calendrier en ce début juin où, dans le cadre de la semaine européenne de l’abeille (BeeWeek 2013), plusieurs évènements intéressants se sont succédé.

Bee week 2013

Bee week 2013
La Semaine Européenne de l’Abeille et de la Pollinisation

Tout d’abord, sous tutelle de l’Europe, un colloque scientifique organisé sur le campus de l’Agro Bio Tech à Gembloux auquel différents spécialistes ont rendu compte de la situation de l’apiculture sur un plan mondial et particulièrement en Europe, en Afrique, en Amérique (du Nord) et en Asie. Le Professeur Haubruge, dans son introduction, salua les apiculteurs, au nom de Jacques Dinsart, qui lui ont permis d’ouvrir son attention à la problématique des mortalités. Des précisions ont été rappelées afin de bien comprendre comment qualifier les mortalités et par exemple distinguer parmi elles les effondrements de colonies.

Projet Coloss

Projet Coloss

Le Professeur Neumann présenta les premiers résultats du projet international Coloss sur la perte de colonies. Le problème est global et doit être considéré comme inacceptable. Environ un tiers des colonies disparaît chaque année surtout à la sortie de l’hiver. Pour la Belgique, le dernier chiffre rapporté fait état de 26% de pertes. Les causes avancées ciblent de façon sous-jacente encore et toujours la varroase. Pourtant, il est de plus en plus admis que d’autres facteurs environnementaux interviennent. Même Gembloux ose à présent parler de l’effet des biocides conjointement à une carence des ressources.

Une présentation remarquée fut celle d’un dirigeant de l’agence européenne EFSA. Dans la foulée du vote imposant un moratoire pendant lequel 3 néonicotinoïdes seront interdits, cette présentation permit de bien comprendre le contexte dans lequel s’inscrit le travail d’évaluation demandé à l’EFSA. A la question du pourquoi une période d’interdiction aussi courte, Mr Fontier argumenta par le fait, que vu les avancées scientifiques toujours nouvelles, le moratoire doit permettre de réévaluer les considérations dans un délai raisonnable pour prendre des mesures adaptées.

La seconde journée qui se tenait le lendemain à Bruxelles au Parlement européen visait un même message mais à un public davantage technocrate tout en s’articulant sur 3 axes :

  • la santé des abeilles,
  • les décisions européennes et leur transcription sur un plan national, et enfin,
  • aborder les pollinisateurs.

Sans doute à déplorer différents points qui laissent aux apiculteurs un goût quelque peu amer au terme de ces 2 journées tel ce parrainage par « le Réseau Biodiversité pour les Abeilles », sous la figure de Philippe Lecompte, qui, on le sait, rejette en bloc les effets des pesticides sur l’abeille, et pour cause, cette association étant pour partie liée à Bayer qui en est un pourvoyeur de fonds.

Enfin, de façon tout aussi sybilline, apparaît aux côtés du nom de Bach Kim Nguyen, le nom d’une nouvelle société, Beeodiversity. Celle-ci a pour vocation de constituer des colonies qui seront offertes aux apiculteurs malchanceux qui auront déclaré (le mot est important) avoir perdu des colonies. Se disant avoir trouvé la formule magique pour diminuer la mortalité à son taux le plus bas, cette jeune société n’hésite pas à décrier le savoir-faire des apiculteurs. Troublant aussi de constater que pour préparer ces nouvelles colonies, elle s’est réfugiée dans un havre de verdure où l’agriculture bio y est légion. Question de ressources ! Oui, mais aussi un aveu par rapport à l’effet des pesticides ailleurs en cultures traditionnelles. De même, pour financer son projet, elle importe et vend sous sa marque du miel roumain bio ; est-ce d’avoir analysé les miels wallons dans le cadre des différentes conventions conclues avec Gembloux que la décision fut prise d’écarter celui-ci de leur circuit de vente ! Enfin, ne faut-il pas y voir une certaine forme de collusion entre cette jeune société au grand cœur et l’Université puisqu’elle affirme ne pas être une spin-off de celle-ci. Elle utilise pourtant les coordonnées des apiculteurs participant sous couvert de conventions aux enquêtes de mortalité.

Chercher mais aussi faire preuve de créativité. « Chercher ? Pas seulement – créer… » évoquait Marcel Proust dans ses écrits « A la recherche du temps perdu » voici un siècle. Où il y est question de mémoire, de souvenirs… Les souvenirs des apiculteurs sont précieux tout autant que précis. Leur mémoire est fidèle surtout en ce qui touche à leur âme, la survie de leurs colonies. Mais la recherche de ce temps perdu depuis le constat de ces mortalités anormales doit aussi nous faire progresser.

Colloque Nature & Progrès le 6 juin 2013

Colloque Nature & Progrès le 6 juin 2013

« L’abeille, indicateur des écosystèmes » : voilà le sujet de cette troisième journée qui était organisée par Nature et Progrès au très vénérable Institut des Sciences naturelles de Belgique à Bruxelles dans le cadre du Plan fédéral Abeilles (évoqué dans notre précédente chronique). D’emblée, il y est question des abeilles (au pluriel). La journée présente l’intérêt des abeilles sauvages (à savoir 380 espèces présentes en Belgique en plus de notre abeille mellifère).

Présentation de Denis Michez, spécialiste des Hyménoptères. Il n’est pas question que de biodiversité. Le rôle des ces différentes espèces est indéniable pour permettre une bonne pollinisation des plantes, tant chez les espèces sauvages que cultivées. Elle concerne 84% des espèces cultivées en Europe pour un chiffre d’affaires de 153 milliards d’euros par an. L’enjeu est de taille tant en notions de quantité apportée que de qualité. Il en va ainsi de la variété du contenu de notre assiette, de la richesse du goût et des couleurs.

Mais surtout, l’objectif de la journée est de réfléchir comment traduire ces caractéristiques biologiques et comportementales particulières dans la mise en place d’un indicateur « abeilles ». A cette fin, différents chercheurs nous ont présenté comment la recherche peut aujourd’hui venir en appui pour atteindre (« créer ») cet objectif. Celui-ci s’inscrit au niveau de l’action 15 du plan soutenu par le SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne Alimentaire et Environnement. Nous découvrons ainsi que l’abeille est une espèce sentinelle des pratiques industrielles, un baromètre des différentes charges polluantes présentes dans l’environnement. Par ses multiples sorties dédiées au butinage dans un rayon convenu, l’abeille rentre en contact avec une série de substances qu’il est ensuite possible d’analyser. Monique L’Hostis nous présente des premiers résultats obtenus sur un suivi mené dans le Grand-Ouest français où agents infectieux, pollution au plomb, aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), pesticides permettent d’évaluer l’effet des pratiques industrielles, domestiques, phytosanitaires et vétérinaires de cette région.

Plusieurs indicateurs doivent nous guider également pour évaluer la santé des colonies d’abeilles. C’est ce que nous présente Cyril Vidau en caractérisant et en nuançant les différences entre dépérissement, affaiblissement, dépeuplement, effondrement, … et en essayant de prendre en compte les différentes causes sous le regard des interactions ou des synergies, notamment entre agents stressants comme dans la combinaison maladie/pesticide. La mise en place d’observatoires ou réseaux doit permettre de dresser un état des lieux représentatif de l’exposition des abeilles aux facteurs de stress par le suivi de différents indicateurs. En perspective, il présente également l’espoir de travailler au départ de biomarqueurs physiologiques, qui une fois caractérisés, pourront être utilisés comme révélateur d’exposition à différentes substances.

JM Bonmatin

Dr Jean-Marc Bonmatin, CNRS

La présentation de Jean-Marc Bonmatin est sans équivoque : la ruche est contaminée et l’abeille accuse l’usage de ces nouveaux insecticides qui représentent une part monétaire de 25% du marché total des biocides. Il présente l’exemple révélateur des insecticides systémiques dans la plante, mais aussi au travers des pollens et des nectars, ou encore de leur persistance dans le milieu. Il nous plonge dans le monde de l’infinitésimal, celui du nanogramme, du ppb (une partie par milliard !). Pour présenter les rapports de masse, il compare une pièce de 2 euros posée au pied de la tour Eiffel. Pour présenter les rapports de toxicité, il compare les différentes molécules au DDT. Ainsi, ces nouveaux insecticides sont de l’ordre de 5400 à 10800 fois plus toxiques que ce pesticide aujourd’hui interdit. Toutes ces découvertes sont actuellement possibles grâce aux nouvelles machines de laboratoire et aux techniques développées par son équipe pour améliorer largement les seuils de détectabilité et de quantification. De ses études, il apparaît que la dose n’influence pas la mortalité, la présence à 1ppb suffit.

Toute cette approche fut remise en perspective sur un plan sociétal par Laura Maxim dans les rapports de force, tels que vécus en France, entre les apiculteurs, l’administration et le politique, et les multinationales. Voir comment les prises de décision ont été prises sans avoir le recul scientifique nécessaire.

A nous de profiter de toutes ces expériences. De ces différentes présentations, et au regard de notre paysage belge, différents paramètres vont être retenus pour mettre en place ce nouvel indicateur, qui somme toute, se révèlera utile aussi pour notre santé.

A suivre…

Benoît Manet

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