Actualités apicoles 2017-09

Par Benoît Manet

« Qui cherche trouve ». Cet adage fut particulièrement mis à l’avant de l’actualité cet été sous couvert de scandale d’œufs contaminés au fipronil. Les doses retrouvées ont inquiété  la santé publique avec des rebondissements entre analyses et contre-expertises mais notre réflexion sera également éveillée par le mode de fonctionnement d’une agro-industrie concentrationnaire à la recherche d’un profit maximum. Et que ce soit pour la viande aux hormones, le poulet à la dioxine, les lasagnes frelatées, ces différentes crises nous mettent chaque fois le nez sur un système de production particulièrement déviant. N’y-a-t-il pas de questions à se poser lorsque poussant le caddie, nous sommes séduits par des aliments pas chers. Evidemment tout est dans tout : les abus de ces industries agro-alimentaires répondent à une demande de produire au prix le plus bas. Avec la nécessité pour le producteur d’aligner son prix de vente à la baisse en dépit des coûts de production. Voire de disparaître au passage s’il ne satisfait pas au diktat des normes et du grand marché mondial. Haro sur les distances et les frontières, le respect des sols et des paysans, le temps est au tout pas cher, de la meilleure conformation et en toutes saisons. Ainsi, l’ogre agro-alimentaire aura réussi son opération de grande finance laissant derrière lui les conséquences de ce mode de production, notamment en termes de justice sociale, d’environnement et de santé publique. A ce jeu, reprenons notre rôle de consommateurs responsables, de consom’acteurs, convaincus que nous avons chacun un rôle qui peut porter ses fruits.

Ces abus ne sont pas sans rappeler également que des fraudes existent également au niveau du miel. Passons les épisodes autour des antibiotiques. Aujourd’hui, il est devenu particulièrement et chimiquement possible de constituer un sirop qui ressemble en tous points à du miel. Derrière ces malversations, également l’idée de pouvoir écouler un produit qui se vendra en grande distribution moins cher que ce qui peut être produit proprement. Ces adultérations portent le plus souvent sur un ajout de sirop de sucres mais des fraudes existent également en termes d’étiquetage quant à l’origine botanique ou géographique1. Sur base d’un rapport européen publié fin 2015 faisant état d’une proportion inquiétante de miels ne correspondant pas à la définition en termes de composition de sucres (6%) ou d’appellations, une étude complémentaire a été commandée pour évaluer la part de la fraude sur base de techniques de détection plus performantes. Les résultats viennent d’être publiés et sont vraiment interpellants2 : 14,2% des échantillons fournis par les Etats membres, et selon eux correspondant aux critères légaux après une première analyse des sucres et des pollens, présentaient des ajouts de sucres. La surprise est d’autant plus grande que la fraude ne vient pas nécessairement de là où on l’attendrait : on y relève deux fois plus de suspicions de fraudes (19,8%) dans les miels européens que dans les miels d’importation composé pour partie ou totalité de miels hors UE (9,4%) !

Si le nom du fipronil est à présent connu du grand public, il était pour le secteur apicole une vieille connaissance. Utilisé comme insecticide en grandes cultures depuis 1993, il servait à l’enrobage des semences de maïs notamment. Actuellement sous le giron de Basf, il avait soulevé la polémique pour ses effets délétères sur les colonies. Son statut au cours du temps est particulièrement intéressant. Encore en 2006, l’Autorité européenne de santé des aliments (l’EFSA) concluait à un non-risque pour les abeilles butineuses. Le produit pouvait continuer à être utilisé. Depuis, pourtant, les études ont nuancé ces conclusions. Et volte-face en 2013 : il est admis un risque aigu élevé pour les abeilles. A cette époque, il était encore utilisé en Belgique. Puis interdit d’utilisation à la faveur du moratoire décidé par la Commission européenne en 2013, son sort devrait prochainement être réévalué en même temps que 3 autres produits considérés problématiques pour les abeilles. Entretemps, l’EFSA aura réexaminé et actualisé les risques liés à leur utilisation. D’un point de vue toxicologique, ce produit est considéré comme hautement toxique. Sa dose létale est le plus souvent exprimée en mg/l pour une série d’espèces sur lesquels il a été testé alors que pour les abeilles sa toxicité est remarquablement élevée avec une DL503 de 0,0004 µg/l4, soit l’équivalent d’une pincée de sel diluée dans une piscine olympique. Quelque chose qui semble imperceptible et pourtant encore suffisamment toxique pour l’insecte. Sa dégradation est si lente qu’il se trouve encore présent de nombreux mois dans les sols. C’est sans compter que le fruit de cette dégradation va générer trois sous-produits principaux que l’on appelle des métabolites qui se montreront tous plus toxiques que la substance-mère. En tant qu’insecticide du système nerveux central, il perturbe évidemment le comportement des ouvrières. Il a aussi été démontré qu’une interaction quasi inévitable avec le champignon Nosema5 est responsable d’une mortalité augmentée chez les abeilles. Plus récemment, des études se sont également penchées sur la spermatogenèse des mâles d’abeilles6. Le fipronil altère la qualité du sperme par le nombre de spermatozoïdes viables. Leur fertilité s’en trouve altérée diminuant du même coup la fécondité des reines.

Les problèmes de toxicité ne s’arrêtent malheureusement pas au fipronil. L’arsenal de produits de traitement est large et les causes de mortalité combinée en fonction de stress divers. Une étude menée en Wallonie a publié ses résultats ce printemps. Elle fait suite à une première publication de 2014 et tout comme dans cette première étude, elle met en évidence la présence de nombreuses substances chimiques dans les colonies avec un lien significatif entre la présence de fongicides dans les ruches et le dépérissement des colonies. Ici, les analyses se sont focalisées sur des échantillons de pain de pollen prélevés en-dehors des grandes floraisons entre fin juillet et octobre dans 40 ruchers wallons. On y relève particulièrement la présence de 2 fongicides dont le Boscalid et d’un insecticide. Le fongicide cité est un produit systémique et persistant dont la demi-durée de vie (DT50) dépasse les 200 jours. Il est difficile de cibler les sources de contamination car ce produit est agréé pour bon nombre de cultures (céréales, pommes de terre, colza, de nombreux légumes et fruitiers, horticulture, …) dont la plupart ne sont pas considérées comme attractives pour les pollinisateurs. Sa persistance pourrait expliquer sa présence dans la ruche lors du butinage sur les après-cultures de phacélie et de moutarde. Tout comme dans la première étude, il semble que le paysage du rucher avec une majorité de cultures plutôt que de prairies augmente la probabilité de dépérissement. Les fongicides apparaissent pourtant et généralement comme peu suspects dans les phénomènes d’intoxication. Il est difficile de savoir à ce stade quels sont les effets réels mais cette exposition sublétale pourrait avoir des conséquences en termes de durée de vie ou de comportement. Ces molécules pourraient aussi avoir des effets sur les micro-organismes propres au système digestif des abeilles et au pain de pollen qu’elles consomment. Alors que l’anatomie du système digestif de l’abeille est bien connue depuis plus d’un siècle, notamment par les travaux de Krancher en 1922, le rôle de la flore microbienne est plus fragmentaire mais des avancées récentes permettent de mieux comprendre leur nature et surtout leur rôle7. La composition de la flore microbienne est vraiment spécifique avec deux grands groupes différents en abondance variable. Elle se constitue dès la naissance de l’abeille à partir de la consommation de pain d’abeille frais. La digestion du pollen est entamée dès son stockage pour se poursuivre dans le ventricule de l’abeille. La flore intestinale, outre son rôle dans la digestion des nutriments a également un rôle à découvrir dans l’immunité de l’abeille notamment en la stimulant. Ainsi, les micro-organismes vivant en symbiose dans le système digestif ont un effet positif sur la santé de l’abeille et rejoignent le concept de « probiotiques ». Au final, on constate que les fongicides peuvent altérer cette flore intestinale, parfois dès la récolte du pollen et sa transformation en pain d’abeille.

Il n’est pas exclu que les fongicides puissent également interagir avec d’autres produits de traitement ou leurs produits de dégradation. Et comment ne pas être rempli de questions quand, dans un autre contexte lié davantage à la santé humaine, on retrouve dans nos campagnes (et proches de nos écoles et de nos ruchers) des résidus de 23 substances différentes issues des traitements des cultures. Comme quoi, plus on cherche et plus on trouve…

A suivre …

Benoît Manet

Notes:
1. Voir l’étude publiée par Test-Achats ce début d’année.
3. DL50 : la dose susceptible de donner la mort de 50% d’une population d’une espèce animale donnée. C’est un indicateur utilisé en toxicologie pour évaluer la toxicité d’une substance.

Assez similaire aux valeurs de DL50 des néonicotinoïdes comme l’imidaclopride (Gaucho) et ses cousins, soit 7000 fois plus toxique que le DDT.

4. Aufavure J., Biron D. G., Vidau C., Fontbonne R., Roudel M., Diogon M., Viguès B., Belzunces L. P., Delbac F., Blot N. (2012), Parasite – insecticide interactions: a case study of Nosema ceranae and fipronil synergy on honeybee, Scientific Reports, 2:326, DOI:10.1038/srep00326
5. Kairo G, Provost B, Tchamitchian S, Ben Abdelkader F, Bonnet M, Cousin M, Senechal J, Benet P, Kretzschmar A, Belzunces LP, Brunet JL. (2016), Drone exposure to the systemic insecticide Fipronil indirectly impairs queen reproductive potential, Sci. Rep., 6:31904.
6. Kairo G, Poquet Y, Haji H, Tchamitchian S, Cousin M, Bonnet M, … et Brunet J.L (2017), Assessment of the toxic effect of pesticides on honey bee drone fertility using laboratory and semifield approaches: A case study of fipronil, Environ. Toxicol. Chem., 4 avril 2017, DOI:10.1002/etc.3773.
7. Voir la très bonne synthèse de M. E. COLIN parue dans le dernier numéro d’Abeilles & Cie : Le tube digestif et la flore microbienne de l’abeille : pp. 16-18 citant les travaux récents de Powell et coll. (2014), Kwong et coll. (2016 et 2017), Kakumanu et coll. (2016), Obersteiner et coll. (2016)
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