Et si on parlait du maïs

Par Michel Smet

« Trop is te veel! »

Cette fois-ci, y en a marre. Nous subissons tous des pertes récurrentes de colonies chaque hiver, mais là, c’est trop! Perdre 95 % de tout son cheptel, réduire à néant le fruit du travail de sélection de plusieurs années, tout devoir recommencer à zéro, çà ne va plus. Mais cessons de râler, et essayons plutôt d’expliquer le phénomène qui nous pend tous au nez, la disparition des abeilles mellifères pendant l’hiver. L’automne dernier, j’ai mis 48 nucléi en hivernage, une vingtaine de Mini plus, quelques ruchettes Dadant 5 cadres ainsi que 19 ruches de production. Fin septembre, tout semble normal partout hormis dans trois nucléi, et une ruche armoire dans lesquels la reine pose un problème, elle ne pond pas! Etant devenu philosophe (conditions actuelles obligent) j’ai laissé les choses en l’état me disant que quiconque fait de l’élevage doit admettre une part de déchet! Evidemment, je savais très bien que ces colonies étaient condamnées à plus ou moins brèves échéances, mais bon….. Dans les autres peuples et nucléi, beaucoup de couvain operculé et d’abeilles présents suite à la relance de ponte provoquée par le nourrissement automnal. Tout allait donc pour le mieux.

Mi novembre, je remarque déjà que certaines colonies de production « se déplument » anormalement. Cela n’augurait rien de bon, et mes craintes se sont avérées fondées! Bien sûr, j’avais remarqué que du maïs avait été, comme tous les 3 ans, planté à quelques centaines de mètres de mes ruches mais bon, à force, on s’y fait.

Début janvier 2015, stupéfaction, plus aucune abeille vivante nulle part! Nulle part, pas tout à fait. Les seules abeilles encore vivantes étaient celles issues des nucléi et autre ruche qui n’avaient plus de reine en ponte l’automne précédant. Evidemment, ces peuples qui possédaient encore beaucoup d’abeilles en septembre n’ont pas élevé de couvain à base de pollen de maïs puisque plus aucun œuf ne s’y trouvait plus. Ce sont donc les abeilles de fin d’été qui ont hiverné et que j’ai retrouvées en janvier, bien vivantes qu’elles sont toujours car élevées en dehors de la période de floraison du maïs.

Que devons nous tirer comme conclusion de cet état de fait? L’apiculteur consciencieux stimule ses colonies par apport de sirop de sucre après la miellée d’été afin d’élever un grand nombre d’abeilles grasses sensées passer l’hiver, et c’est ce qu’il faut faire. Si par malheur se trouve un champ de maïs à proximité du rucher à ce moment ou un terre de moutarde en fleurs, il nous est impossible d’empêcher les butineuses de récolter le pollen de ces cultures toxiques, pollen qui est utilisé pour l’élevage des abeilles devant passer la période hivernale. Vous allez me dire que tous les maïs plantés ne sont pas enrobés de neurotoxique (Gaucho), je me suis même laissé dire que le maïs enrobé était interdit de plantation en Belgique depuis 2012 bien que les stocks de semences pouvaient cependant être plantés…

Quand bien même, et ce après discussion avec les fermiers, ils ne savent pas eux-mêmes réellement ce qu’ils plantent, ainsi que les processus de transmission des neurotoxiques dans les plantes traitées. C’est le monde à l’envers. De plus, ils ne sont pas non plus au courant (du moins certains d’entre eux) de la rémanence des toxiques dans leurs terres qui « remontent » dans les plantes de la culture suivante. Tout cela arrange bien sûr les chimistes qui crient haut et fort que depuis 2012, on ne plante plus de maïs enrobé neurotoxique et que les abeilles continuent à péricliter comme avant 2012.

Explication du phénomène

Comme les neurotoxiques sont autorisés sur de nombreuses semences (betteraves, escourgeon, froment, petits poids, pommes de terre et autres légumineuses) et au vu de la rémanence du toxique dans la terre pendant plusieurs mois, voir années, toute plantation non traitée qui suit une plantation traitée devient elle aussi très toxique pour nos butineuses.

En résumé, une plantation de maïs « classique » qui suit une terre plantée de betteraves (qui sont toujours enrobées) devient, par le principe de la rémanence, elle aussi très toxique pour les abeilles. Les apiculteurs doivent être bien conscients de ce phénomène, même si l’agriculteur leur prouve que le maïs qu’il a planté est non traité, il est quand même nocif pour les butineuses. C’est sur ce principe que les chimistes basent leurs arguments pour affirmer que leurs produits ne posent pas de problèmes pour les abeilles. C’est assez futé, il faut bien l’admettre.

Conclusion

Au vu de ce qui précède, et le problème de rémanence des produits dans les sols étant connu et reconnu par les scientifiques après études, nous pouvons dire que plus aucune terre de culture Belge ne possède aucune trace de neurotoxique. De cette déduction découle le fait que toute culture de maïs, phacélie, colza ou autre moutarde, produit, au jour d’aujourd’hui, du pollen et ou du nectar contaminés par un neurotoxique, c’est physiquement inévitable! Seules les cultures « bio » sont sensées ne pas être concernées par ce problème.

Quelle apiculture pouvons-nous entrevoir?

Seuls les apiculteurs qui placent leurs ruches dans des zones de cultures bio, ou dans des zones sans cultures, et à condition de bien gérer la varroase seront épargnés par ce fléau que sont les cultures neurotoxiques et les pertes de colonies.

Pour les autres, ce sera toujours une apiculture « au petit bonheur la chance ». Si certaines années, il n’ont ni maïs, ni phacélie, ni moutarde, ils passeront dans les mailles du filet et conserveront leurs colonies. Si par contre, se trouve une ou plusieurs cultures de ce type dans les environs proches de leur rucher, ils perdront leurs abeilles à coup sûr, j’en suis la preuve vivante. Il faut donc, plus que jamais, observer les cultures proches des ruchers, et ne pas hésiter à déménager les peuples vers un endroit « clean » de toute culture suspecte, du moins le temps de la floraison de la ou des cultures en question. C’est, à mon sens, la seule façon de conserver nos abeilles aujourd’hui, a moins que de se trouver dans une région indemne de toute culture, mais cela devient rare, vu que beaucoup de fermiers retournent des prairies pour cultiver du maïs ou du colza. L’avenir pour nous, apiculteurs qui n’avons rien fait de mal, n’est évidemment pas rose, il faut bien l’admettre mais nous devons lutter sans relâche ni découragement car alors, il en serait fini de nos petites butineuses qui nous rendent si heureux.

Michel Smet

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