Actualités apicoles 2019-09

Par Benoît Manet

Tout comme en 2005, cette miellée d’été fut exceptionnelle. Alors que le printemps fut assez froid avec des températures pouvant difficilement gagner les moyennes saisonnières, livrant les colonies à des rentrées limitées et les poussant à l’essaimage, la saison bascula à partir du 10 juin pour une période très chaude après que des précipitations assez abondantes furent enregistrées notamment à la faveur de pluies d’orage. Cette conjonction d’humidité et de chaleur fut bénéfique à une montée de sève provoquant une production importante de nectar. Ces apports conséquents se sont succédés à raison de plusieurs kilos de nectar journaliers liés à la floraison des tilleuls et au début des châtaigniers et des ronces. Ceci montre la capacité des colonies à profiter de conditions particulières pour récolter le nectar en quantité sur des périodes restreintes. Pour quel miel ? Lors de l’extraction, les notes mentholées signaient l’origine de ces apports. Ces caractéristiques organoleptiques sont assez typiques du miel de tilleul. Ce miel est en général apprécié car il possède, à côté de ses qualités gustatives et aromatiques, des vertus médicinales. Il est réputé comme très apaisant permettant d’atténuer les troubles d’insomnie. Ceci est dû à la présence de flavonoïdes et d’autres principes agissant sur les récepteurs du cerveau responsables du sommeil. La production de miel de tilleul est chez nous habituellement aléatoire. Ainsi, elle fut compromise tantôt à cause d’un gel tardif, tantôt à cause de la sécheresse ces deux dernières années. Sur le marché du miel, l’essentiel de la production provient classiquement de Roumanie et de plusieurs pays de l’Est où l’arbre se retrouve sous forme de peuplements à différentes altitudes permettant une transhumance progressive en fonction de l’avancement des floraisons.

Chez nous, sans retrouver ce type de peuplements, le tilleul est loin d’être absent de notre paysage. L’histoire l’a mis en valeur en tant qu’arbre de place pour commémorer certains événements comme ce fut notamment le cas au moment de la révolution française où il était installé en tant qu’arbre de la liberté. A proximité des bâtiments privés et publics, ou sur les places, il est aussi un symbole intemporel dans la vie des villages. C’est ainsi qu’on le retrouve encore près des églises, des cimetières, à côté de chapelles, de calvaires ou de croix, dans certains parcs, parfois même planté sur un tumulus, isolé, en bouquets ou sous forme de drèves. Il en est ainsi d’exemplaires parfois âgés de plusieurs siècles. Il a aussi marqué la toponymie locale : bon nombre d’entités de notre région (Fernelmont, Eghezée, Wasseiges, Burdinne, …) possède encore une Rue du tilleul. Quand il ne s’agit pas d’un lieu-dit, d’un nom de ferme ou du nom d’un cours d’eau.

Cette omniprésence locale est intéressante en tant que ressource d’appoint et comme souvent avec les arbres, la floraison se portera sur les 3 dimensions dont la hauteur. Il n’en faut parfois pas plus pour qu’un arbre pouvant compter de 10000 à 40000 fleurs par mètre cube de canopée constitue un attrait évident pour les butineurs.

Plusieurs espèces à la floraison échelonnée sont répertoriées : à grandes feuilles, à petites feuilles, de Hollande ou argenté. Cette dernière, originaire du sud-est de l’Europe a souvent mauvaise réputation auprès des apiculteurs. Plusieurs hypothèses ont déjà essayé d’expliquer le nombre parfois important de bourdons et d’abeilles retrouvés morts au sol sous cet arbre. Aucune n’a pu expliquer véritablement jusqu’à présent la cause de cette observation. La toxicité de son nectar liée à la présence de mannose ou de nicotine ne convainc pas. Le mannose ne serait pas métabolisé par les Apidés car ils ne possèderaient pas l’enzyme nécessaire. Le second est un alcaloïde reconnu comme toxique pour les insectes. Pourtant, les analyses ne détectent ni mannose, ni nicotine. Le manque de nourriture lorsque l’humidité de l’air et du sol ne permettent pas la sécrétion du nectar en quantité et cela malgré l’attractivité du parfum a également été avancé. Le moment de floraison de ce tilleul, le dernier à fleurir, serait susceptible d’affecter les insectes plus âgés. La présence de farnésol est aussi évoquée. C’est cette huile volatile qui donne ce parfum si particulier lors de la floraison du tilleul. Ce principe actif neuroleptique dont on recherche les effets sédatifs de cette ressource en phytothérapie, est susceptible d’avoir une action sur les insectes. Finalement, il est difficile d’y voir clair. Par rapport à cette attractivité soudaine, ne s’agit-il tout simplement pas d’une mortalité normale en fin de saison. Mais l’argenté est dorénavant condamné des villes et des projets de plantations.

Une dernière chose par rapport à ce miel de cru. La rapidité de butinage dans ces circonstances en fait un miel à la teneur en eau parfois élevée. Ainsi, cette année, des cadres pourtant bien operculés contenaient du miel dépassant les 18% d’humidité. Pire, le vécu nous apprend que des cadres pourtant operculés à plus de 70% comme il est coutume de confirmer que le miel est mûr possédait un miel en train de fermenter. La présence de suintements sur les cadres operculés ou de petites bulles à la surface du cadre sont des signes apparents de ce début de fermentation. Au goût, le miel a une saveur acide et piquante. Ceci est directement lié à une miellée trop intense pour laquelle les abeilles n’arrivent pas à gérer l’humidité avant l’operculation. Le contrôle de cette humidité avant la récolte est donc indispensable. Au besoin, les hausses seront mises à sécher dans une pièce chaude munie d’un déshumidificateur. L’usage du réfractomètre reste un préalable indispensable à la récolte.

En contraste avec ce qui a précédé, la récolte de cet été restera assurément inscrite dans la mémoire des apiculteurs.

A suivre…

Benoît Manet

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