Actualités apicoles 2019-07

Il est intéressant de constater que toute la vie sur terre obéit à des mêmes règles de base. Par la génétique, nous apprenons comment fonctionnent une série d’organismes depuis la bactérie jusqu’aux grands mammifères en passant par les plantes. Chaque espèce garde ses spécificités intrinsèques liées à son parcours évolutif – ce qui la rend unique – mais est construite au moyen des mêmes briques biologiques. L’abeille n’échappe pas à ses fondements avec quelques illustrations tout à fait intéressantes sur le plan de sa répartition, de son organisation, mais aussi de son devenir.

Les êtres vivants sont constitués de cellules, unités fondamentales de la vie car elles contiennent différents éléments dont certains porteurs de l’hérédité. Il est notamment présent sous la forme d’une molécule géante formée de deux brins enroulés en hélice, l’ADN (rassemblé chez l’abeille sur 16 chromosomes) 1. Cette structure particulière fut découverte en 1953 par Watson et Crick. Son étude durant les quelques décennies suivantes permit une meilleure compréhension de son fonctionnement avec des progrès jusqu’alors inimaginables ou si peu.

Pour bien comprendre, milieu du 19ème siècle, l’allemand Johann Dzierzon découvre la parthénogenèse chez l’abeille : par ses expériences, il démontre que les mâles sont issus d’œufs non fécondés à l’inverse des femelles. Cette découverte inspira Gregor Mendel, considéré comme le père de la génétique par ses travaux en botanique et ses petits pois, qui aurait voulu être un généticien de l’abeille, mais se confronta à la difficulté de ne pouvoir contrôler les accouplements entre reines et mâles. Mendel aurait voulu croiser des abeilles issues de différentes races et profiter d’un effet hybride pour améliorer la production de miel. Il voulait aussi classer les différences de couleurs des mâles issues de ces reines hybrides afin d’associer ses théories de l’hérédité à un modèle animal.

Première et deuxième lois de Mendel : 1 – Croisement de pois à fleurs rouges avec des pois à fleurs blanches (tous deux homozygotes pour ce trait, WW et RR). 2 – Génération F1 : tous les individus sont rouges car l’allèle rouge est dominant et le blanc est récessif). Alors que les parents étaient tous deux homozygotes (respectivement WW et RR), toute la F1 est hétérozygote (RW). 3 – Génération F2 : les formes rouges et blanches montrent un rapport de 3:1.

La génétique intuitive de l’abeille est davantage mise en avant avec l’avancée de l’insémination artificielle 2. Notamment au départ de ses insuccès. Ceux-ci demandent à se pencher sur leurs causes et permettent de mettre en évidence la non-viabilité des mâles diploïdes. Il en ressort une description des différentes parties du génome dédiées à la détermination du sexe. De fil en aiguille, ceci permit finalement dans les années ’90 de tracer la carte génomique de l’abeille et de remarquer l’incroyable potentiel de combinaison possible au niveau des croisements.

Très rapidement après, peu après que ne soit décodé le génome humain en 2004, est publié celui de l’abeille le 26 octobre 2006 3. Plus de 170 chercheurs d’une centaine de laboratoires de 16 pays y ont contribué. L’abeille est le quatrième insecte à rencontrer cet exercice titanesque. De ses 16 chromosomes, les chercheurs ont identifié un peu plus de 10000 gènes pour une longueur de 236 millions de paires de base. Cette description constituera le socle de toute une série d’avancées. Nous en retiendrons quelques-unes en exemple.

L’évolution des hyménoptères (phylogénie) s’est différenciée des autres insectes plus tôt que connu. Parmi les différentes espèces du genre Apis, toutes originaires du continent asiatique, Apis mellifera fait exception. L’étude de son génome a permis de tracer son berceau d’origine et de suivre les voies migratoires qui l’ont guidée sous nos contrées avant que l’influence de l’homme ne vienne brouiller les cartes. L’examen de différentes sous-espèces géographiques confirme les 4 groupes mis en évidence par morphométrie par Ruttner dès 1978. L’abeille mellifère serait bien originaire d’Afrique (groupe A) et s’est étendue à l’Europe au travers de deux voies d’expansion différentes. Une première voie remonte l’Espagne jusqu’aux îles britanniques et les pays scandinaves, l’Europe du Nord et la Russie (groupe M). La seconde voie migratoire atteint le sud de l’Europe (groupe C) via le Proche-Orient (groupe O). Elle a eu lieu un peu plus tard. L’abeille noire (groupe M) est plus proche génétiquement de l’abeille africaine que de l’abeille italienne ou de la carniolienne alors que parfois proches géographiquement au niveau des régions alpines.

Des avancées se marqueront aussi dans la compréhension de la vie sociale des abeilles. Il est même fait référence à une science additionnelle qu’est l’épigénétique qui vise à comprendre comment les mécanismes moléculaires régulent l’activité des gènes dans leur expression sans altérer leur séquence ADN 4. Les gènes peuvent s’exprimer ou non en fonction de leur position mais aussi de leur environnement. En ce domaine, l’abeille amène un éclairage tout à fait unique en ce qui est l’élevage royal. Selon l’alimentation et les soins donnés, une jeune larve deviendra reine ou ouvrière. Les larves ont un bagage génétique identique mais du fait de leur alimentation exclusive en gelée royale ou non, elles auront une issue différente. La gelée royale modifie la méthylation de l’ADN en l’inhibant, c’est-à-dire qu’elle en influence l’expression génétique. Ceci serait dû à un composé, le phénylbutyrate, connu pour être un inhibiteur des enzymes favorisant la compaction de la chromatine. Cependant, tout ne s’explique pas par le jeu de cet inhibiteur. D’autres événements rentrent en ligne de compte et doivent encore être expliqués.

Autre illustration, la résistance de l’abeille aux pesticides. Par rapport à d’autres insectes, l’abeille possède moins de gènes concourant à son immunité. Elle dispose de moins d’enzymes de détoxification. Ce qui en fait un organisme plus vulnérable que d’autres 5. Le caractère social de cet insecte l’a armé pour ce qui est par exemple de la nourriture sociale ou de la communication par la perception des odeurs. Davantage de gènes que chez d’autres insectes sont activés. Cependant, cet avantage de la vie en groupe la dessert pour ce qui est de son immunité par moins de gènes codant liés à la protection de la cuticule ou des récepteurs du goût. C’est que, dans ce contexte de vie sociale, l’abeille est moins soumise à des agresseurs. Les ressources florales sont moins susceptibles de contenir des toxines que d’autres nourritures, à ceci près que notre environnement est à présent soumis à bon nombre de pesticides dont on retrouve des résidus dans les végétaux jusque dans les pollens et les nectars. En plus des mortalités par contact, les pesticides s’accumulent dans les substances lipophiles comme la cire et le pollen où ils agissent par des effets sub-létaux sur le développement du couvain, la fécondité de la reine et des faux-bourdons ou encore le comportement des nourrices et des butineuses. L’abeille posséderait de 30 à 50% moins de gènes codant responsables du métabolisme de détoxification des pesticides que d’autres invertébrés étudiés, ce qui en fait un organisme particulièrement vulnérable. Ceci doit être entendu.

Une dernière illustration. Face aux limites inhérentes aux solutions chimiques dans le traitement du varroa, et sur base d’observations de colonies naturellement résistantes au varroa, certains se penchent actuellement sur le recours à la génétique pour essayer de développer une abeille naturellement capable de le supporter. Cette approche part du principe que les abeilles peuvent développer des comportements de nettoyage. Un premier concerne le toilettage au travers de l’épouillage qu’elle pratique sur elle-même ou entre congénères. Un deuxième mécanisme de nettoyage est lié au comportement hygiénique déjà mis en lumière dans le cadre d’un auto-nettoyage contre le couvain plâtré et la loque américaine. Il est contrôlé par deux gènes récessifs devant être présents tous deux de façon concomitante. Le premier gène permet aux abeilles de détecter le couvain infecté et de désoperculer ces cellules. Ensuite, les ouvrières sortent la pupe infectée et la jettent hors de la ruche. Les colonies possédant ce comportement hygiénique sont qualifiées de VSH 6. Enfin, le dernier facteur de résistance est l’inhibition de la reproduction du varroa, dite SMR 7. Il s’agit d’une stratégie retardant la ponte des œufs de la femelle adulte dans le couvain ou en induisant la mort des jeunes varroas formés. Alors qu’on parlera davantage d’une capacité de tolérance pour les deux premiers comportements, ici, il s’agit bel et bien d’un mécanisme de résistance au prédateur 8. De même, étant donné que les colonies SMR développent également un fort comportement hygiénique, il est proposé de retenir globalement l’appellation VSH pour les abeilles SMR aussi (selon les travaux de Harris et Harbo sur les SMR et de Spivak sur le VSH).

C’est cette voie qu’a emprunté le projet Arista Bee Research pour sélectionner des abeilles résistantes au travers d’un programme de sélection, d’élevage et d’insémination à un mâle pour essayer de fixer ces caractères dans la descendance. Le recours à l’appui génétique est une phase du projet Arista. L’examen du phénotype 9 au travers du taux de couvain nettoyé par exemple ne suffit plus. La sélection des colonies résistantes serait plus aisée si les gènes impliqués dans ces comportements étaient connus. Un début d’explications vient d’être publié par une équipe de recherches représentée en Belgique par l’Université de Gand (Professeur De Graaf) 10 . L’étude se base sur des croisements entre souches résistantes et non résistantes au varroa sur 2 générations de façon à fixer le caractère souhaité. Les mâles F2 ont été phénotypés pour en dégager des marqueurs qui permettront d’accélérer le travail de sélection de cette future abeille résiliente.

Ainsi « au fur et à mesure que les fragments de cette vaste mosaïque vont se mettre en place avec l’assistance de la génétique, va apparaître une histoire remarquable qui ouvrira bien des perspectives en évolution développementale et en sociologie » s’émerveillait le célèbre entomologiste Edward O. Wilson en exergue de la parution du génome de l’abeille en 2006.

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. ADN = acide désoxyribonucléique. Cette macro-molécule présente une organisation spatiale particulière car, d’une longueur de 2 mètres, elle est rangée dans un noyau de 10 micromètres de diamètre. Cela revient à ranger un fil de 20 mètres dans une balle de tennis.
2. Page R.E., Gadau, J., Beye, M., 2002. The emergence of Hymenopteran genetics. Genetics, 160 : 375-379
3. Lavend’homme, R., 2006. Le génome de l’abeille est séquencé. Abeilles et Cie, 115 : 22-23
4. Germain, Mathias, 2019. Epigénétique : les nouvelles dimensions du génome. « Nous établissons les bases moléculaires de cette discipline ». Entretien avec Edith Heard, Institut Curie, Collège de France. La Recherche, juin 2019, n° 548 : 34-38. Merci à Geoffrey Zanelli pour la référence de l’article.
6. VSH = « Varroa Sensitive Hygiene Trait »
7. SMR = Suppressed Mite Reproduction
8. Miette, V., Jouffroy, K. et Muylkens, B., 2018. Les abeilles « résistantes » à Varroa destructor : une solution pour l’avenir ? Abeilles et Cie, 184 : 29-32
9. Le phénotype est l’ensemble des traits observables d’un individu.
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