Actualités apicoles 2019-05

Par Benoît Manet

Il est là et bien là. Il ne peut être évité. Le frelon asiatique est dans toutes les discussions entre apiculteurs. Face à son essor en 2018, il faut s’attendre cette année à une présence attendue sur tout le territoire belge 1. Certains se préparent à une lutte qui durera. Et forts de l’expérience vécue chez nos voisins français, une série de méthodes de lutte apparaissent, exposées largement sur la sphère internet. A ce jeu, tout est bon : le meilleur comme le pire. L’appel est bien compris : du matériel apparait en devanture des magasins de matériel apicole.

Le frelon asiatique a fait son apparition en France en 2004 dans le Lot-et-Garonne. Un peu plus de 10 ans plus tard, il a colonisé quasi l’espace français pour franchir les frontières. En Belgique, un premier nid était découvert en 2016 dans le Tournaisis. L’an dernier, il était repéré sur les côtés de Namur où sa présence était visiblement déjà connue mais non rapportée. Le repérer semble une étape essentielle. Il est surprenant par exemple qu’il n’ait pas encore été détecté dans la province de Liège. S’intéresser à sa morphologie et à son cycle de vie doit nous permettre de mieux appréhender cette espèce avec laquelle il faudra composer à l’avenir 2 .

L’espèce rencontrée est Vespa velutina nigrithorax, de son appellation scientifique, ce qui la classe parmi les Hyménoptères (tout comme notre abeille mellifère). Les frelons font partie d’une même famille, les Vespidés, au même titre que les guêpes 3 . Et pourtant les guêpes vraies appartiennent actuellement au genre Vespula, réservant le genre Vespa pour les frelons dont le berceau d’émergence est l’Asie. C’est donc naturellement que l’on y retrouve ce frelon dans sa région d’origine que sont la Chine, le Vietnam et l’Indonésie. L’espèce velutina 4 , se dérive en plusieurs sous-espèces, une douzaine identifiée, dont la sous-espèce nigrithorax, marque le côté sombre de son corps, en contraste avec le jaune de ses pattes, ce qui le fait aussi appeler frelon à pattes jaunes. C’est cette sous-espèce seule – probablement au départ d’une seule fondatrice fécondée – qui a fait l’objet d’une introduction accidentelle et a permis de coloniser l’Ouest du continent européen.

Dans son aire d’origine, le frelon asiatique est connu comme un redoutable prédateur de l’Abeille cerana qui a développé pour le contenir une stratégie de défense par intimidation et au besoin se précipite en nombre sur l’individu menaçant en l’entourant et en faisant monter sa température qui entraine sa mort. Chez nous, pas d’adaptation similaire (du moins pas encore). Malgré son régime alimentaire varié (insectes, araignées, cadavres de vertébrés, …), il reste un prédateur d’abeilles incontesté. Celles-ci constituent au moins un tiers des proies. Ce prélèvement n’est normalement pas délétère pour une colonie d’abeilles à un moment de l’année où elle recèle plusieurs dizaines de milliers d’individus. La menace se situe plutôt au niveau du stress qui règne sur la planche d’envol et du manque de provisions qui en découle en prévision de l’hiver.

De par l’impact qu’il représente sur la santé publique et les activités apicoles, le frelon asiatique est considéré au regard de la législation européenne comme une espèce envahissante. Face à leur présence et aux effets occasionnés, les espèces considérées comme telles sont évaluées et des mesures de lutte peuvent être déployées. Pour le frelon asiatique, il est dès à présent illusoire de l’éradiquer. Les mesures mises en place viseront davantage l’atténuation avec une lutte qui visera à réduire localement la densité, notamment en milieu urbain ou à proximité des ruchers. Actuellement, un financement régional permet de coordonner les actions d’information, de sensibilisation et d’intervention sur tout signalement de nid. En 2018, une soixante de nids ont été neutralisés en Belgique dont une vingtaine en Wallonie par une équipe formée spécifiquement pour ce genre d’intervention délicate.

Face à cette difficulté, la tentation est intuitive – et légitime – de vouloir détruire tout individu dès sa première observation. Au printemps, les femelles fécondées nommées également fondatrices qui auront survécu se remettent en activité. L’hiver aura déjà été une première étape de sélection importante. A leur réveil, leur première tâche sera de se nourrir et de choisir un site propice à l’établissement d’un nid primaire (première étape dans le développement de la nouvelle colonie). Cette année, au vu des conditions météo particulièrement clémentes connues durant la seconde quinzaine de février, une observation avait déjà été réalisée à Ostende le 19 mars. Le refroidissement qui s’en est suivi a peut-être déjà limité l’essor de ces fondatrices qui vivent une période particulièrement délicate de leur cycle. C’est le moment que certains veulent mettre à profit pour éliminer un maximum de fondatrices tablant sur un frelon égale un nid. Or la compétition entre fondatrices est à ce moment à son maximum, certaines essayant de s’approprier le nid commencé par une autre. Il n’est pas rare de trouver quelques fondatrices mortes au sol au pied de l’ébauche de nid, victimes de cette compétition. Par ailleurs, l’incidence du piégeage sur la population de fondatrices n’est pas connue : il est probable que le nombre d’individus détruits soit négligeable par rapport au nombre existant. Si piégeage il y a, l’attention sera portée pour que le dispositif soit suffisamment sélectif pour éviter la capture d’insectes non visés comme certains bourdons ou autres insectes utiles. Cela écarte d’office tous les pièges par noyade, où les insectes attirés par l’appât rentrent dans le piège et finissent par se noyer dans le liquide. Aucun de ces dispositifs et tous les mélanges attractifs proposés n’ont pas la sélectivité suffisante. Les pièges à sec comme le red Trap© proposé chez Icko ou le Belgian Trap© proposé chez Beebox World, tout en offrant l’avantage d’une plus grande capacité, devraient être plus sélectifs au regard de leur conception avec un trou d’entrée fonctionnel évitant toutes les espèces plus grosses que le frelon asiatique et aux espèces plus petites de pouvoir s’échapper en se faufilant entre les mailles de la grille à reine. La couleur rouge du dispositif tiendrait d’une attractivité augmentée pour le frelon. Dans ces pièges, le mélange attractif sera disposé sur éponge afin d’éviter la noyade. Une fois les frelons capturés, le passage du piège quelques heures au congélateur suffit pour s’en débarrasser. Enfin, le piégeage se fera à distance des ruchers pour ne pas attirer les frelons vers ces endroits. Il est important de ne pas piéger là où le frelon n’a pas encore été observé car l’attractif pourrait l’attirer là où il n’était pas encore présent 5 . Il est aussi important de limiter ce piégeage dans le temps. Au-delà de la mi-mai, les fondatrices ont établi leur nid et le piégeage printanier n’a plus sa raison d’être 6 .

Pour éviter la pression sur les ruchers en été et automne, au-delà de la détection précoce, des méthodes d’atténuation existent avec plus ou moins de bonheur. Beaucoup sont originales, expérimentales, adaptées aux petites structures, parfois difficilement transposables. Des premiers bilans commencent à être utilisables. Nous ne manquerons pas d’y revenir afin d’exposer les plus pertinentes parmi les muselières, les adaptateurs d’envol, les phéromones de synthèse et autres solutions, … Ces techniques sont à combiner avec le repérage des nids et leur destruction par les services habilités en concertation avec le CRA-W 7 . Un appel à la solidarité est donc lancé.

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Une observation vient d’être rapportée dans la région de Daverdisse (23/04/2019)
2. Pour une info complète sur l’espèce, voir la page dédiée
3. Il est d’ailleurs logique qu’en italien, une guêpe se traduise par vespa, ce qui fut l’inspiration d’un célèbre modèle de scooter de la marque Piaggio au lendemain de la deuxième guerre mondiale.
4. Ce qui se traduit par velouté. C’est le naturaliste Amédée Louis Michel Lepeletier (Comte de Saint-Fargeau) qui dans son Histoire naturelle des Insectes (et des Hyménoptères) décrit l’espèce et la nomme en premier. Nous sommes en 1836 : « Son abdomen noir est velouté, recouvert d’un fin duvet couché à reflets changeants, dorés par places ». D’où son nom. Plus tard, en 1905, le naturaliste Robert François du Buysson, qui était préparateur en entomologie au Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, décrit la sous-espèce nigrithorax sur base d’échantillons collectés lors d’expéditions en Asie.
5. Voilà pourquoi je ne piégerai pas (cette année du moins).
6. Pour avoir plus d’infos sur le bien-fondé du piégeage et les techniques envisagées, voir la communication du 26 mars dernier
7. Michel De Proft, responsable de cette problématique au CRA-W (gsm : 0476 76 05 32 – mail : m.deproft@cra.wallonie.be), en vue de l’identification formelle de l’espèce (sur base de photos si possible), puis de la neutralisation des colonies (service gratuit).
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