Actualités apicoles 2019-03

Par Benoît Manet

Cette dernière quinzaine fut vraiment exceptionnelle. Les températures de jour ont atteint des maxima records jamais enregistrés frisant parfois les 20°C en après-midi. L’activité des colonies a suivi et les sorties d’abord sur les noisetiers et les aulnes, maintenant sur les saules marsault en début de floraison, ont marqué les premiers apports, le tout avec un mois de décalage par rapport à la normale. Toutefois, pas de précipitation, les nuits sont encore froides. Une visite de la colonie ne se fera que dans un but bien particulier. Tout refroidissement du couvain ou d’emballement de la reine seraient néfastes pour la suite. L’observation du trou de vol et l’examen du lange sont des indicateurs suffisants. La rentrée de pollen est bien visible et les déchets du plateau attestent de la reprise d’activité. L’évaluation des provisions restantes doit nous guider pour ces prochaines semaines, surtout en cas de dégradation des conditions météo. Ces conditions se cumulent avec un bon hivernage où les pertes ont l’air d’être moins prévalentes que celles vécues ces dernières années. A confirmer bien sûr.

National Archives at College Park  [Public domain], via Wikimedia Commons

National Archives at College Park
[Public domain], via Wikimedia Commons

Contexte réjouissant s’il en est et pourtant quelques informations relatives à notre environnement ne sont pas de bon augure pour notre activité. J’aurais voulu éviter de parler à nouveau des pesticides mais ceux-ci nous rattrapent à chaque fois dans l’actualité avec des effets directs et indirects.

Outre les interdictions européennes détournées en dérogations au niveau national 1, les décisions régionales contestées devant la justice par l’industrie des pesticides, nous nous trouvons devant des situations qui nous rendent à chaque fois si vulnérables. Il n’est pas exagéré de dire que les pesticides sont omniprésents dans l’environnement affectant tant l’homme que bon nombre d’espèces et de milieux dans les écosystèmes. Toutes les études en attestent : les populations d’insectes s’effondrent. Ce groupe d’espèces en est un témoin particulièrement sensible au point que la disparition de certains d’entre eux mettrait à mal le fonctionnement de certains écosystèmes avec des répercussions économiques et écologiques. Quelques exemples. L’an dernier, de l’imidaclopride était retrouvé dans du pollen de saule prélevé près de Genappe. Les cultures après-céréales, ce qu’on appelle les CIPAN, comme les moutardes et les phacélies, étaient évaluées et confirmées comme sources de contamination pour les colonies d’une série de pesticides au travers des pollens et nectars récoltés. De façon plus suspecte, des traces de glyphosate ont été retrouvées dans des miels fournis à un distributeur français l’an dernier. Ce dernier procède systématiquement à l’analyse des lots qu’il acquiert. Ici, il y a détecté des traces mesurables de glyphosate l’amenant à refuser l’entièreté du lot.

Ce cas ne semble pas unique. Plus proche de chez nous, un apiculteur de la région de Gembloux a vu son miel de printemps 2018 contaminé par un herbicide à usage professionnel, le fusilade 2. Ce pesticide est utilisé pour le désherbage sélectif en maraîchage, en pépinières ou en grandes cultures, normalement en-dehors de la période de floraison. Rien n’est prescrit particulièrement dans la notice pour l’usage dans le respect de l’entomofaune mais le conditionner en termes de délais prescrits avant récolte et de nombre de passages pour correspondre aux règlementations de limites maximales de résidus (LMR) est suffisamment suspect pour s’interroger sur son usage. C’est aussi rappeler les traces de Boscalid (et ses métabolites) retrouvées dans des échantillons de la ruche. Une corrélation a été mise en évidence entre ce fongicide de la famille des SDHI 3 et les troubles constatés au sein des ruchers 4. Il serait à l’origine entre autres d’une dégradation des acides aminés du pain de pollen. Une étude suisse menée au sein de l’Université de Neuchâtel (UniNE) s’est aussi intéressée à la persistance de ces molécules dans les miels. Il ressort de leur étude que bon nombre des échantillons évalués sont contaminés et que les molécules y retrouvées peuvent persister pour certaines d’entre elles jusqu’à 40 mois ! Dans ces conditions, il est difficile de pouvoir attester que le miel reste un produit-santé. Et de voir dans un contexte déjà difficile de concurrence en lien à des falsifications de « miels » étrangers, qu’une production pourrait être refusée à la commercialisation sous motif de résidus de pesticides.

Ce genre de situation a déjà été dénoncée dans le procès qui opposait un apiculteur allemand obligé de détruire sa production au motif que celle-ci contenait des traces d’ogm. Que dire quand il est avéré en France que des graines de colza transgénique ont échappés et se retrouvent dans des lots de semences qui ont été distribuées et semées durant l’automne dernier. Vu le caractère illicite de cette pollution, ce sont 8000 hectares qui ont dû être détruits afin d’éviter toute fructification et repousses de ce colza interdit. Dans ces deux cas de figure, l’apiculteur n’est en rien responsable de la contamination subie. Il en paie pourtant les conséquences. Contrairement à ce qui nous est répété, le modèle agricole actuel ne présente pas suffisamment de garanties pour assurer la santé des consommateurs. Ce qui est proposé comme politique pour une utilisation durable et raisonnée de ces substances ne fonctionne pas. Non seulement, les quantités de produits utilisés ne fléchissent pas mais l’arsenal utilisé se retrouve dans toutes les chaînes alimentaires.

Certes, la décision de la Commission « Pesticides » prise par le Parlement européen le 16 janvier dernier est un pas encourageant mais elle reste tributaire des décisions du Conseil européen qui aura le dernier mot (sous le jeu des influences et pressions du secteur).

Quelle est notre marge de manœuvre en tant que citoyen pour garantir notre santé ? Notre engagement peut déjà rejoindre différentes initiatives qui germent en ce moment autour de nous. Au niveau régional, des initiatives visant à une diminution des pesticides sont au programme. Citons l’action du Service public de Wallonie destinée à une sensibilisation pour un « Printemps sans pesticides » qui se tiendra du 20 mars au 20 juin. Ou encore l’appel de Nature & Progrès pour une « Wallonie sans pesticides » et son Plan BEE pour la promotion d’espaces semés au moyen de plantes mellifères. Enfin, l’appel à la résistance pour l’interdiction des pesticides de synthèse lancé en 2018 par Fabrice Nicolino en France, « Nous voulons des coquelicots », se voit décliné dans une version belge. Cent citoyens se sont engagés le 26 février dernier au travers d’un manifeste destiné à sensibiliser chacun à l’intérêt de pouvoir offrir un paysage sans pesticides. Ils nous invitent à les rejoindre.

Voici autant de propositions en ce printemps afin de s’engager par une voix lucide et prendre la mesure de notre avenir. Signons et adhérons largement à ces initiatives. C’est un premier pas pour faire connaître que nous n’avons pas envie d’être victime. D’autres nous rejoignent 5.

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Document de synthèse particulièrement intéressant (autant qu’interpellant)
2. La molécule active de cet herbicide est le fluozyfop-p-butyl.
3. SDHI : inhibiteur du succinate déshydrogénase. Ces molécules sont accusées de dérèglements cellulaires par blocage de l’enzyme SDH.
4. Simon-Delso et al, 2014
5. Chanson-thème de la campagne « Nous voulons des coquelicots » composée et interprétée par Emily Loizeau.
Ce contenu a été publié dans Actualités, Extraits de la revue. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.