Actualités apicoles 2019-01

Par Benoît Manet

Une année qui passe, accompagnée de ses joies, de ses réussites, de ses bonheurs mais aussi marquée de ses regrets, de ses départs, de ses désillusions. Une année tout en couleurs mais qui sont teintées différemment au fil de la vie. Ici, reliée aux actualités apicoles qui ont fait partie de notre quotidien. Faisons-en une rétrospective au travers de quelques faits marquants croisés tout au long de 2018.

Et d’abord, comme c’est déjà le cas depuis quelques années, la fin d’hiver se passe avec une certaine appréhension. Les pertes hivernales se suivent et se ressemblent. En tous cas, pour ce qui est des symptômes. Les chiffres fluctuent mais toujours au-dessus de ce qui est tolérable. La Belgique est un de ces pays où les pertes de colonies restent élevées, alors que les cas cliniques liés aux maladies sont plutôt faibles 1. Au sortir de l’hiver, les pertes sont recensées au travers du questionnaire COLOSS et s’élèvent cette fois à 19,4% à l’issue de l’hiver 2017-2018 alors qu’elles étaient l’année précédente à 25,5%. Les pertes se répartissent variablement avec des zones indemnes alors qu’ailleurs, elles sont importantes. Ce sont la région limoneuse (30,2%) et le Condroz (24,4%) qui sont les plus touchés. Ne négligeons pas l’incidence du varroa liée au manque d’efficacité des traitements ou des conditions automnales le favorisant. Le traitement hivernal à l’acide oxalique s’impose; ne l’oublions pas. L’examen des cadres de ces colonies perdues peut être instructif en détectant ces petits points blancs qui ne sont autres que des cristaux de guanine, c’est-à-dire des déjections de varroas, traces de son activité délétère. En cause aussi, les conditions automnales qui depuis quelques années prolongent le butinage sur les ressources fleuries que sont les cultures pièges à nitrates (CIPAN) à base de moutarde ou de phacélie. Les apports en pollen à cette période de l’année offrent aux colonies des conditions comparables à celles trouvées au printemps mais à un moment où les abeilles devraient développer des réserves en graisses et en vitellogénine leur permettant de garantir leur survie jusqu’au printemps. D’une étude menée par le CRA-W, il apparaît que plus de 60% des échantillons de pollen de trappe recueillis sur différents sites wallons étaient contaminés par des pesticides tels qu’insecticides (organo-phosphoré et néonicotinoïde), fongicide ou synergisant 2. En cela, elles apparaissent autant comme des pièges à pesticides 3. L’incidence de ces après-cultures reste posée avec des répercussions inévitables sur l’hivernage de la colonie en termes de physiologie, de nutrition, de facteurs de stress. Le projet PolBEES dont la campagne de prélèvement s’est poursuivie tout au long de cette année 2018 pourra compléter ces premiers résultats. Mais d’emblée, une réflexion sur le rôle de l’apiculture (et du maintien des pollinisateurs en général) dans l’espace agricole doit pouvoir être discuté, notamment dans le cadre de la prochaine PAC 4 qui se profile à l’horizon de 2020. Celle-ci se veut être plus axée sur l’environnement et sur le climat en favorisant une agriculture plus durable, c’est-à-dire moins intensive, notamment par une série de mesures destinées à lutter contre le déclin des pollinisateurs. C’est à ce niveau, au sein des aides du deuxième pilier, que les apiculteurs peuvent aider dans l’évaluation d’indicateurs à mettre en place.

Et quoi de neuf sur le plan des maladies et prédateurs? Le varroa est toujours problématique ; on le sait. Mais des perspectives ont marqué cette année. D’une part, les avancées du projet AristaBee sont conséquentes. Un nombre de plus en plus important d’éleveurs issus de différents pays européens participent à l’élaboration d’une abeille tolérante au varroa. Des colonies fortement résistantes sont identifiées et n’ont plus besoin de traitement. Et cela malgré les infestations provoquées. Une fois cette étape franchie, les lignées 100% résistantes seront multipliées et évaluées sur d’autres caractères. D’autre part, un film faisant le point de la situation dans les ruchers belges a été réalisé au moyen de fonds non utilisés par la guidance vétérinaire au vu du peu de succès rencontré par cette dernière. L’autre actualité concerne le développement du frelon asiatique. Celui-ci avait été détecté de façon ponctuelle depuis fin 2016 dans le Tournaisis ou plus récemment dans la région de Gerpinnes. Mais en 2018, il a largement étendu son aire de présence selon un front passant par Bruxelles-Charleroi-Couvin avec des signalements gagnant le Namurois et sa présence à Flawinne, Salzinnes et Saint-Servais. Dans le Nord du pays, il a progressé selon un front qui s’étend entre Anvers et Bruxelles mais avec des avancées ponctuelles vers Louvain, Hasselt et Genk. Gageons qu’il sera malheureusement omniprésent sur une grande partie du territoire dès cette année, sinon d’ici un an ou deux. Nous aurons à apprendre à le détecter mais surtout à diminuer son impact sur la dynamique des colonies. Pour en diminuer le stress sur la planche d’envol et la prédation, des muselières placées en façade des ruches sont une solution et commencent à apparaître dans le commerce apicole. Le piégeage des fondatrices au printemps est plus sensible. Outre leur caractère non sélectif, les pièges pourraient attirer des frelons alors qu’ils n’étaient jusque là pas présents.

Autre fait marquant de cette année, ce fut la météo qui fit de 2018 la deuxième année la plus chaude jamais enregistrée en Belgique. L’été fut caniculaire au point d’être le plus chaud depuis 1833 mais aussi anormalement sec. Ceci se reflète inévitablement sur les floraisons et la disponibilité en nectar, avec des miels différents. Les miels de printemps ont pu bénéficier d’un printemps précoce avec des rentrées de fruitiers puis de colza. Certains ont aussi pu profiter des floraisons de robiniers qui ont pu se déployer sans rencontrer la pluie. Pour l’été, les tilleuls et les trèfles ont souffert terriblement de la sécheresse. Les colonies ont dû trouver des apports alternatifs au travers des miellats de chêne qui ont permis pour certains une troisième récolte d’un miel très foncé, presque noir. Ces aberrations météorologiques font partie d’une évolution du climat dont il faudra tenir compte à l’avenir. Il est à la source de déséquilibres modifiant la phénologie et la distribution des espèces. Ces perturbations sont les conséquences de l’activité humaine fortement carbonée et amenant un réchauffement de la planète. En décembre dernier se tenait la COP24 5 censée adopter des décisions capables de garantir l’application des accords de Paris pris en 2015. L’enjeu serait de devenir neutre en CO2 avant 2050 de façon à contrer le réchauffement climatique en-deçà des 2,5°C sur lesquels les climatologues du GIEC placent la barre pour une planète viable autant que vivable. Malheureusement, ce fut à nouveau un minimum syndical. La frilosité à prendre les bonnes décisions fait apparaître une déconnexion de plus en plus marquée entre les citoyens et les élites. Il en va même d’une opposition entre le social et l’avenir de la planète. La réaction populaire au sein du mouvement des gilets jaunes et des marches citoyennes pour le climat montre une grande mobilisation, preuve de la demande d’un changement de paradigme dans le fonctionnement de nos sociétés. En 2019, année d’élections régionales, fédérales et européennes, nous aurons à amener nos politiques à placer les intérêts communs au-dessus des tactiques politiciennes et à s’engager véritablement en-dehors des influences purement économiques ou partisanes. Des formes plus silencieuses de combat sont aussi en quête de faire bouger les lignes : des recours en justice introduits pour que les états respectent leurs engagements comme L’Affaire du siècle en France ou son équivalent belge l’Affaire Climat, ou encore le manifeste des coquelicots paru en septembre dernier à l’initiative du journaliste Fabrice Nicolino 6. Ce manifeste vise à interdire tous les pesticides de synthèse en revendiquant un retour à la nature par l’image du coquelicot. Cette plante pionnière, symbole de résistance, qui redonne de la couleur aux paysages meurtris comme après les combats de la guerre de 1914-18 et dont on célébrait l’anniversaire de l’armistice en novembre dernier. Elle a porté l’espoir des survivants au point d’en devenir l’emblème. Cette plante qui prend tout son sens en même temps que toute son importance pour l’abeille dans les paysages transformés par une agriculture intensive et qui apporte pourtant jusqu’à 50% des apports d’un pollen équilibré à une période où les besoins sont conséquents. Cette plante doit aussi nous animer pour montrer notre indignation par rapport aux récentes dérogations obtenues par la Belgique pour permettre l’usage des néonicotinoïdes pourtant interdits au plan européen en avril dernier. Le Ministre Ducarme avait aussitôt réagi, poussé par les syndicats agricoles et les betteraviers, pour obtenir une exception pendant 120 jours. Cette dérogation vient de lui être accordée ainsi qu’à 8 autres pays européens, tous situés dans l’Est du continent. La Belgique se retrouve donc seule parmi les pays de l’Europe occidentale à vouloir et pouvoir utiliser ces produits dorénavant interdits. Alors qu’elle invoquait elle-même un problème de rentabilité pour la filière, voici la Belgique à présent en distorsion de concurrence vis-à-vis de ses voisins. La dérogation vise néanmoins une étape de sortie et est assortie d’une interdiction de faire suivre la betterave de cultures attractives pour l’abeille pendant 2 ans. Mais dans les faits, quel en sera le contrôle ? Cette dérogation est certainement un mauvais signal pour les agriculteurs qui restent dans un schéma de protection des cultures totalement disproportionné et néfaste globalement à l’environnement.

Epinglons également la sortie d’un rapport très intéressant publié en novembre dernier par l’Afsca sur les cires et les problèmes rencontrés en termes de contamination ou d’adultération. Suite aux problèmes rencontrés avec certains lots de cires du commerce, cette agence a étudié la filière sur base d’une bibliographie. Ce rapport ouvre une porte sur une série de pratiques industrielles et commerciales qui échappent complètement à la maîtrise de l’apiculteur. La garantie d’une cire de qualité nécessite de repenser la façon de faire produire la cire et de la recycler au sein du rucher, ou au niveau du commerce, de s’en remettre à des certificats d’analyses qui ont inévitablement une incidence sur les prix pratiqués 7.

L’année 2018 fut également marquée par l’organisation d’une deuxième édition de l’opération « Abeilles & Co : la semaine des abeilles et des pollinisateurs ». Du 27 mai au 3 juin, une série d’activités étaient organisées partout en Wallonie. Nous avons profité de cette organisation pour ouvrir nos locaux et y faire découvrir au plus grand nombre le monde passionnant de l’abeille. C’est aussi dans ce contexte que la commune de Fernelmont a reçu le label Maya « 3 abeilles » destiné à récompenser les actions entreprises au niveau local pour les pollinisateurs et la biodiversité. Le plan Maya a pour but de sensibiliser mais aussi de porter des actions concrètes par la plantation et l’entretien tendant à une gestion respectueuse et différenciée des espaces communaux. Le plan vise également à soutenir les apiculteurs de la commune. A la faveur des dernières élections communales et du renouvellement du pouvoir en place, nous ne manquerons pas d’interpeller les élus pour leur rappeler nos préoccupations.

Au final, je souhaite que ce nouvel-an soit l’engagement pour un nouvel élan pouvant apporter amour, intelligence, indépendance, résilience, autonomie, partage et créativité 8. Et d’apporter ces quelques vers en guise de cadeau :

Si les abeilles disparaissaient
Notre monde s’effondrerait
Et ses montagnes orphelines
Ne seraient plus que des collines
Notre univers est sans limite
Mais la terre est bien trop petite
Pour lutter seule face aux dangers
Elle a des amis, des alliés

La légende des immortelles – Yves Duteil 9
Soyons de ceux-là !

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Par exemple, 14 cas de loque américaine ont été identifiés en 2018 dont 8 en Wallonie (source Afsca).
2. Le synergisant est un additif ajouté aux formulations de produits phyto et permettant d’en augmenter l’efficacité.
3. Et l’on ne s’étonnera pas de retrouver ces produits dans les différentes fractions du milieu. La SWDE présente les résultats pour l’eau de distribution avec des résidus en pesticides tournant autour de 8-10 ng/litre.
4. PAC = Politique agricole commune. Elle vise le soutien aux marchés et aux revenus mais aussi le développement en zone rurale.
5. COP24 = nom informel de la 24ème Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui s’est tenue en Pologne à Katowice
6. Fabrice Nicolino et François Veillerette. Nous voulons des coquelicots. Editions Les Liens qui Libèrent (LLL).
7. Le recours à de la cire bio est certes un choix intéressant. L’analyse y détecte pourtant quelques contaminations.
8. In Thomas d’Ansembourg et David Van Reybrouck. La paix, ça s’apprend ! Domaine du Possible, Actes Sud
9. CD ‘Respect’ – Yves Duteil (2018)
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