Actualités apicoles 2018-09

Par Benoît Manet

Après un printemps explosif et quelques orages violents mais localisés en juin, une période de sécheresse s’est installée portant cet été dans la liste des records. Les températures furent particulièrement élevées et inscrites dans la durée permettant de classer cette vague de chaleur comme exceptionnelle. Les relevés météorologiques ont enregistré 26 jours de chaleur dont 9 de canicule 1.

En de nombreux endroits, la miellée d’été était terminée dès la troisième semaine de juin. La floraison des tilleuls était là mais n’a pas véritablement donné. Les trèfles blancs étaient grillés dans les prés aux couleurs de soif. Les châtaigniers et les ronces ont parfois permis de sauver la mise. Dans ces conditions, quels sont les apports utiles. En plus de l’eau qui se faisait rare et pourtant combien nécessaire à l’élevage, les ressources classiques étaient terminées bien trop tôt pour la saison. La famine n’était pas loin et un appoint était nécessaire au retrait des hausses. C’était pourtant oublier l’adaptation des abeilles au peu de ressources locales et leur attrait pour des formes de nourriture accessoires. Certains apiculteurs ont ainsi pu observer de belles rentrées en miellat. Comme en 1976, autre année de sécheresse, les abeilles ont pu profiter de ces sécrétions issues d’insectes parasites qui se nourrissent de la sève élaborée des plantes ou des arbres comme les pucerons ou les cochenilles. La sève n’étant pas très riche en protéines, les insectes doivent en consommer de grandes quantités pour couvrir leurs besoins et rejettent les sucres en surplus. Le liquide qui est recueilli est épais et visqueux, plutôt sombre et peu humide 2. Ces rentrées caractérisent les miels de forêt comme les miels de chêne (particulièrement foncés comme ce fut le cas chez nous cette année), de sapin (dans les Vosges), ou de maquis (en Corse). Il est aussi à l’origine du miel de metcalfa qui est un insecte d’origine américaine présent en Italie et dans le sud de la France. Autrefois, on observait également la production de miellat sur des plantes herbacées comme les céréales. Les traitements insecticides appliqués sur ces cultures pour éviter les viroses en ont fait oublier la présence. On connait aussi le miellat du mélèze qui durcit très rapidement dans les cadres et devient inutilisable (miel béton). En cause, la présence d’un sucre issu de la combinaison d’une molécule de glucose avec une molécule de saccharose, le mélézitose. Les miellats présentent également d’autres inconvénients ; ils sont constitués de sucres peu digestibles qui peuvent parfois s’avérer toxiques. L’abeille ne possède pas tous les enzymes nécessaires pour les métaboliser. Il en résulte une quantité importante de résidus qui encombrent son ampoule rectale et se traduisent par des diarrhées. Le tréhalose diminue aussi la durée de vie des ouvrières. Ceci peut compromettre le devenir de la colonie au moment de l’élevage des larves au printemps. Si ces apports sont providentiels à une période de manque, il n’en constitue pourtant pas une manne. Stricto sensu, ce terme est réservé aux exsudations produites par certains végétaux qui sèchent à même les feuilles en fines écailles 3. Ce terme est surtout connu dans le contexte biblique et passé ensuite dans le langage commun. La manne permit au peuple hébreu de subsister durant leur exode de 40 années passées dans le désert du Sinaï après leur sortie d’Egypte. Une ressource sucrée particulière issue d’un buisson poussant dans ces zones arides et salées, le tamarin. D’autres mannes font partie de la mythologie nordique et font référence aux exsudations du frêne. A Briançon, une production issue du mélèze constitue un fleuron du Dauphiné. Elle est semble-t-il liée à de forts écarts thermiques. Comme pour les miellats, les sucres récoltés peuvent s’avérer toxiques pour l’abeille. Le sucre principal contenu dans la manne est le mannose. Ce sucre est souvent cité comme étant à la source des problèmes de mortalité constatés sous les tilleuls argentés. Cette affirmation est pourtant contredite4. De façon plus évoluée, certains sucres commerciaux comme les sucres d’érable ou d’agave sont en quelque sorte des mannes technologiques dans le sens d’une exsudation provoquée pour en recueillir le produit qui s’en écoule. Plus récemment, mais sans doute de façon plus accessoire, il fut également possible d’observer les abeilles profiter d’autres sources de produits sucrés en butinant les fruits du verger. L’appareil buccal des abeilles, à l’encontre de celui des guêpes, ne leur permet pas de déchirer l’enveloppe des fruits. Elle profite cependant du travail de celles-ci pour récolter le jus sucré des prunes, mirabelles, pommes, mûres, etc. Il convient toutefois de le considérer comme des récoltes accessoires utilisées lors de périodes difficiles.

Si 2018 a été le deuxième été le plus chaud (après 2003) depuis le début des mesures, il s’inscrira également dans le temps – espérons-le – par la démission surprise du ministre français de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. Ce producteur de télévision, écrivain et défenseur de l’environnement avait marqué mon esprit lors de la parution de son livre « Le syndrome du Titanic » 5 et de ses célèbres émissions. Un appel – pourtant déjà ancien – à la clairvoyance, à changer de modèle et de priorités. « Les jours du monde tel que nous le connaissons sont comptés. Comme les passagers du Titanic, nous fonçons dans la nuit noire en dansant et en riant » commençait-il son essai. A ce poste ministériel, il voulait faire plus. C’était sans compter le poids de l’économie et des lobbys. Si ce fait d’actualité concerne la politique intérieure de nos voisins français, il doit nous faire réfléchir à la place des lobbys dans les cercles du pouvoir et à la responsabilité des gouvernements à préserver l’environnement. Ainsi, pour exemples récents, suite à l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes au niveau européen, les états entrevoient la solution des dérogations pour y parer. C’est aussi sans compter les recours entamés par les sociétés chimiques concernées par cette décision. Passant presqu’inaperçue dans la mollesse des jours d’été, le Parlement européen a autorisé le 3 août dernier la mise sur le marché pour 10 ans de 5 OGM dont 2 sont résistants au glyphosate. N’est-ce pas là une façon de rendre indispensable l’usage de ce produit pourtant décrié ? Dans son dernier livre, « Petit manuel de résistance contemporaine » 6, Cyril Dion nous invite à la construction d’un récit commun rejetant ce modèle révolu pour une « vision désirable de l’avenir », en imaginer pour un environnement viable et vivable. La démission de Nicolas Hulot semble avoir réveillé les consciences. « C’est le moment de penser à nouveau par nous-mêmes et de faire des choix » nous confie le réalisateur du film « Demain ». Une démocratie d’abeilles en quelque sorte ? 7

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. La canicule s’identifie comme étant une journée où la température maximale a dépassé les 30°C. L’origine du mot canicule vient du latin et signifie « petite chienne », l’autre nom de l’étoile Sirius, la plus éclatante des étoiles de la voûte céleste, qui est visible en été au lever et au coucher du soleil.
2. Ce miel issu de miellat est plus concentré et contient souvent moins de 16% d’eau.
3. Pierre Jolivet, 1980. Les mannes : entomologie et botanique. Supplément au Bulletin mensuel de la Société Linnéenne de Lyon, 49, 9 : 17-22
4. Anne-Laure Jacquemart, 2017. La toxicité de tilleuls remise en doute. Abeilles & Cie n° 187 : 27-29
5. Nicolas Hulot, 2004. Le syndrome du titanic. Editions Calmann-Lévy
6. Cyril Dion, 2018. Petit manuel de résistance contemporaine. Actes Sud.
7. Thomas Seeley, 2017. La démocratie des abeilles. Un modèle de société. Traduit par Jane Buyllement. Editions Quae.
Ce contenu a été publié dans Actualités, Extraits de la revue. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.