Actualités apicoles 2018-07

Par Benoît Manet

Dans ce rapport particulier qu’entretiennent plantes à fleurs et abeilles depuis près de 100 millions d’années, chacune des parties a pu trouver utilité à ces échanges. Les plantes peuvent assurer leur reproduction grâce à des auxiliaires qui y trouvent une nourriture composée de nectar et de pollen. Le pollen intervient en tant qu’élément mâle devant aboutir jusqu’aux parties femelles incluses dans la fleur. Au sens littéral du terme, cette poussière est répandue ici grâce à l’intervention d’une série d’espèces pouvant être qualifiées d’acteurs transporteurs de pollen, c’est-à-dire au sens littéral des pollinisateurs.

L’abeille est particulièrement intéressée par cette source de protéines végétales auxquelles sont associées bon nombre d’acides aminés, de vitamines, de minéraux, de ferments. Elle l’utilisera abondamment pour alimenter ses glandes hypopharyngiennes qui lui permettront de produire la gelée royale si précieuse mais également pour nourrir les larves à partir du 3ème jour par la distribution avec du miel et de la gelée royale jusqu’à s’y substituer. Le surplus est entreposé temporairement dans les cellules en pourtour, tassé avec la tête et recouvert d’une fine couche de miel qui empêche l’air de passer. Cette imperméabilisation déclenche une fermentation qui grâce au travail des bactéries et des levures aboutira à un produit stable et nutritif présentant des qualités nutritionnelles améliorées par rapport au pollen frais en ce compris des propriétés bactéricides, bactériostatiques et germicides. Ses propriétés particulières agiront à la fois sur le système immunitaire de la colonie et sur celui des individus-abeilles. Maeterlynck1 qualifiait ce pain d’abeille de « farine d’arc-en-ciel » en référence aux couleurs des pollens2. La quantité de pollen récolté relayé par le recrutement à cette récolte apparaît comme un indicateur fiable de l’élevage en cours3 traduisant un comportement induit en réponse à un stimulus de base. Si des ouvrières rentrent du pollen, il y a présence d’un couvain en pleine croissance aux besoins proportionnels. Ainsi, une partie des butineuses sera appelée à se diriger vers les ressources les plus performantes du moment pour y recueillir cette poussière nutritive. Ici, nous trouvons un mode de signalisation supplémentaire, témoin de la complicité étendue entre les végétaux et les insectes. En plus des parfums et des odeurs qui attirent la butineuse parce qu’ils sont le synonyme de récompense, les fleurs, parce que reliées à la terre, présentent un champ électrique de faible intensité avec un potentiel négatif. Par ailleurs, le corps de l’insecte s’électrise positivement par le frottement de l’air en volant. En parcourant les fleurs, les grains de pollen s’accumulent sur le corps de l’insecte sous l’effet des forces électrostatiques qui s’équilibrent sans qu’il y ait contact4. Ensuite, ces grains sont agglutinés avec un peu de nectar, puis brossés jusqu’à la patte arrière au niveau du peigne à pollen, pour être finalement détachés et placés sur la face extérieure dans la corbeille où l’amas pressé grandit pour devenir une « pelote ». Une pelote rassemble environ 3-4 millions de grains de pollen représentant un parcours de centaines de kilomètres. De retour à la ruche, ces pelotes sont décrochées et déposées dans les alvéoles. Sur l’année, ce sont environ 20-50 kg qui sont ramenés à la ruche à raison de 15 mg de récolte par vol !

En arrière-saison, cette utilisation du pollen dans la ruche conditionnera également la qualité et la durée de vie des abeilles d’hiver. Alors que la taille du couvain diminue, les nourrices sont proportionnellement plus nombreuses et les larves mieux nourries. Les jeunes abeilles qui en découlent se nourriront sans fonctionner comme nourrices. La teneur en protéines dans les glandes hypopharyngiennes et dans le corps gras y restera plus élevée et garantira sa durée de vie plus longue. La reprise du couvain en fin d’hiver mettra un terme à cette physiologie particulière. L’intérêt de pouvoir disposer de pollen de qualité à cette période de l’année conditionnera également le passage de la période hivernale avec des abeilles bien préparées. Pareil changement dans la longévité est également observé dans les colonies qui se préparent à essaimer et qui, de ce fait, réduisent leur couvain5. Le pollen intervient également au sein des miels dont ils sont – de façon inévitable – une part constituante. Il en devient le certificat d’origine sous la forme de ces millions de grains contenus dans sa masse. A l’analyse, la fréquence des différents pollens suit une classification dite de Zander qui précise selon leurs teneurs, les pollens dominants, d’accompagnement ou isolés et sans être absolu, permettre d’établir la provenance géographique et d’en identifier les fraudes. Ces grains aux formes et dimensions particulières selon les espèces présentent une enveloppe externe des plus résistantes du monde organique, l’exine, mais suffisamment caractérisée que pour être raccrochée à une espèce ou une famille végétale. Le pollen peut aussi – mais depuis moins longtemps – participer à la mise en évidence d’une contamination par des polluants. L’abeille peut être utilisée comme sentinelle de l’environnement. L’analyse des différentes matrices apicoles comme le miel, la cire, les abeilles est courante. Elle l’est moins pour ce qui est de la matrice pollen / pain d’abeilles. Différentes études commencent à l’utiliser. En 2003, une étude française utilisait pour la première fois cette matrice6. Plus récemment, en 2013, Dennis vanEngelsdorp publiait ses résultats avec 35 produits pesticides retrouvés dans les pollens. En 2015, une équipe de chercheurs français7 proposait l’utilisation de cette matrice particulière. Le pain d’abeilles reste pourtant un échantillon complexe. Il en reste qu’elle s’avère très efficace pour détecter et quantifier les toxiques. Dans les zones de grandes cultures, toutes les colonies suivies étaient contaminées avec la présence d’au moins un pesticide. Ce qui s’établit à l’étranger semble inévitablement se confirmer chez nous. En 2017, l’équipe du CRA-W de Gembloux confirme que plusieurs pesticides contaminent les pollens même en zone de culture non attractive pour l’abeille et alors que les traitements sont révolus. Le projet belge HealthyBee, lancé suite à l’arrêt du projet européen Epilobee, a suivi 193 apiculteurs et 896 colonies d’abeilles pendant une année, à travers trois séries de visites différentes organisées en automne 2016 et durant le printemps et l’été 2017. Un échantillon de pain d’abeille (pollen) a été prélevé dans 81 ruchers en vue d’une analyse des résidus. Dans 78 échantillons, la présence d’au moins 1 résidu a été démontrée ! Dans la continuité, et intégrant le Plan d’action fédéral abeilles, le CRA-W en partenariat avec d’autres universités et organismes a réédité une étude qui se déroule en ce moment visant à mesurer précisément l’incidence des stress causés par les résidus de pesticides ainsi que par une diversité restreinte des ressources alimentaires.

Le projet PolBees8 est mené dans différents contextes paysagers comme les zones de grandes cultures, d’arboriculture, de prairies ainsi que les zones urbaines. Au niveau des 80 ruchers-candidats, des trappes à pollen ont été disposées à l’entrée des ruches. Les trappes sont récoltées aux dates fixées après 24 heures de prélèvement. Du pain d’abeilles est également prélevé au sein des différents cadres. Le but visé par ces prélèvements porte sur l’étude de résidus, sur la qualité nutritionnelle et sur l’identification des ressources butinées. Des abeilles d’intérieur et d’extérieur sont également prélevées afin d’étudier les pathogènes et l’état de stress des colonies. Complémentairement, 240 nichoirs à osmies ont été placés et les tubes pondus ont été récupérés pour en prélever le pollen. Les échantillons collectés seront ensuite analysés du point de vue de la diversité pollinique, des résidus de pesticides et de la qualité nutritive. À l’aide d’un programme de cartographie (SIG), les résultats des différentes analyses seront mis en relation avec l’occupation du sol autour des sites. Par rapport au programme établi, des prélèvements complémentaires seront assurés durant la floraison des pommes de terre devenues omniprésentes dans nos campagnes ainsi que du maïs largement utilisé par les abeilles alors que son pollen est de piètre qualité. Un projet certes intéressant dont on attendra les résultats avec intérêt sans pour autant s’attendre à une réforme drastique des pratiques au bénéfice de chacun.

Comme développé, le pollen au travers de ses formes et de ses couleurs assure un rôle intime au sein du monde végétal mais aussi animal. Il devient par la voie de la science un révélateur de la qualité de notre environnement.

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Maeterlynck, M. 1951. La vie des abeilles. Bibliothèque Charpentier, Paris : p. 40.
2. Cette appellation poétique trouve son sens dans la double étymologie du pollen. Farine se dit d’ailleurs polenta en italien y trouvant la même racine grecque.
3. Cfr les travaux de Robert Page dans The spirit of the hive. The mecanisms of social evolution
4. Hemmerlé, J. 2016. Des parfums, des couleurs et des champs électriques. Fruits et abeilles 10/2016 : 326-328.
5. Guerriat, H. 2000. Etre performant en apiculture. Editions Rucher du Tilleul. p.33.
6. Chauzat M.P. & al. 2006. Les pesticides, le pollen et les abeilles. La santé de l’abeille, 216 : 443-455.
7. Sandon, Y. 2015. Pesticides dans les matrices apicoles : analyse de deux ans de données recueillies dans le cadre d’un partenariat FNOSAD/CNRS. La santé de l’abeille n° 266 : 105-111.
8. Un reportage sur le projet préparé par Canal C
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