Actualités apicoles 2018-05

Par Benoît Manet

La date du vendredi 27 avril 2018 restera marquée comme un tournant dans le devenir des insecticides néonicotinoïdes avec l’interdiction de 3 d’entre eux : l’imidachlopride, la chlothianidine et le thiaméthoxame.

Il aura fallu plus de 20 ans pour qu’enfin soit reconnue l’incidence majeure que ces produits occasionnaient aux abeilles 1. Dès 1994, des apiculteurs français avaient observé des troubles du comportement des abeilles au moment de la floraison des tournesols. Après enquête, il s’avère qu’un nouveau produit est utilisé. Ce produit, c’est le célèbre Gaucho, un insecticide issu d’une nouvelle famille de neurotoxiques. Encore fallait-il sensibiliser le monde politique et finalement trouver le relais nécessaire auprès du monde scientifique pour étayer les doutes et les transformer en preuves irréfutables. Tout au long de ce parcours, viendront les controverses à propos des facteurs induisant les mortalités. Le varroa sera bien souvent cité ainsi que le manque de savoir-faire des apiculteurs dans les modes de traitement utilisés. A la lumière de ce dossier, il est surtout apparu des lacunes dans les procédures d’évaluation des pesticides, notamment pour ce qui est de leur toxicité sublétale sur le modèle abeilles. Le mode d’application de ces nouveaux insecticides par enrobage des semences a éludé des tests la toxicité qui pouvait apparaître au niveau des larves, du comportement des nourrices et des butineuses, de la fécondité des reines et de la qualité des mâles, de la résilience des colonies sur le long terme. On se rend compte que ce mode d’application est particulièrement pernicieux dans la mesure où il vise une assurance tous risques pour la culture tout en dispersant dans les sols et l’eau autant de reliquats de cette protection trop parfaite.

Faut-il voir dans cette décision une victoire ? Certainement mais elle est à nuancer. Le parcours aura été plus que long avant d’aboutir à cette interdiction. Il aura montré un manque de données dans les dossiers d’homologation qui auraient permis de confirmer une innocuité pour la faune et la santé humaine. Il aura aussi montré le lobby effectué par des sociétés chimiques sur un modèle agricole cadenassé par l’utilisation de ces substances rendues inévitables. L’attention sera attirée sur le fait que seuls 3 produits sont ici concernés par une quasi-interdiction mais que d’autres sont encore sur le marché ou tentent d’y apparaître comme le montrait encore récemment l’actualité autour des produits à base de sulfoxaflor. Enfin, la position défendue par la Belgique lors de ce vote est révélatrice d’une attitude trop conservatrice. Seul état des pays fondateurs de l’Union européenne à ne pas avoir voté l’interdiction, la Belgique s’est malheureusement distinguée en s’abstenant et en défendant d’emblée la piste des dérogations pour des cultures comme la betterave ou la chicorée. Le message porté par le ministre Ducarme a au moins l’avantage d’être clair à l’encontre d’autres pays qui ont voté l’interdiction tout en admettant que les dérogations seront utilisées comme elles l’ont été après l’interdiction sous moratoire en 2013. Certains pays comme la Roumanie par exemple ont largement utilisé cette voie pour continuer à utiliser les néonicotinoïdes à grande échelle.

Il s’agit également de s’interroger sur les motivations qui sous-tendent ces dérogations pour défendre un secteur de la betterave en large perte de vitesse depuis la levée des quotas et la libéralisation du marché du sucre l’an dernier. Dans ce contexte, est-il acceptable d’encaisser un coût environnemental élevé pour une culture qui n’apparaît pas comme vitale pour l’alimentation humaine de base. Les betteraviers se disent sans alternatives; pourtant certaines devraient pouvoir être mises en place sans verser dans le spectre avancé de l’aspersion des cultures avec des produits que l’on nous dit encore plus néfastes pour l’abeille.

Dans ce contexte d’intoxications de nos colonies venant s’ajouter aux autres facteurs liés aux pathogènes et aux carences en ressources, il est devenu de plus en plus nécessaire de renouveler régulièrement les reines. Plus qu’un constat, c’est à présent une nécessité. L’élevage des reines fait à présent partie des techniques courantes de conduite du rucher au même titre que le maintien de ruchettes en soutien des colonies de production. L’élevage semble inaccessible dès lors que, comme on le retrouve dans une série de manuels, on a recours à du matériel spécifique et une conduite orientée des colonies. A l’inverse, il en faudra un peu plus que la seule acquisition d’une grille à reine et de l’adaptation du matériel existant au rucher comme l’atteste Gilles Fert 2, éleveur et sélectionneur de reines et auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet. Entre les deux, un peu de matériel sera nécessaire et il sera choisi pour être compatible avec le matériel existant. Les méthodes abondent entre starter ouvert, starter fermé, éleveuse horizontale ou verticale, méthodes Bentley, Miller, Alley, systèmes Cloake, Snelgrove, Barasc. Les unes plus compliquées que les autres surtout lorsqu’on n’est pas équipé en ruches divisibles. En France, l’ITSAP a d’ailleurs récemment enquêté sur les pratiques d’élevage utilisées dans les différents types d’exploitation apicole. Le transfert de larves au travers du greffage est devenu la méthode d’élevage artificiel la plus répandue. Elle permet de produire une grande quantité de reines à partir d’une seule colonie. La diversité vient surtout dans les étapes d’élevage avec des types d’éleveuses et de nucléis de fécondation variés en fonction des objectifs de sélection et de commercialisation. Il importe surtout que la technique soit adaptée aux besoins.

C’est ce que nous avons pu découvrir lors des journées portes ouvertes chez Beebox World à Fernelmont le 25 avril dernier durant lesquelles se tenaient une série de conférences dont une présentée par Didier Brick, apiculteur-éleveur de Buckfast à Soumagne et collaborateur au sein du groupe Arista Bee. La technique qu’il nous expose est basée sur la production de cellules en « mini-plus » issue de l’expérience de Roger Morandeau 3. L’avantage est de conserver un matériel standard avec des cadrons aux dimensions d’un demi-cadre de hausse Dadant réunis au nombre de 6 dans le volume de ce nucléi de taille moyenne. L’élevage peut déjà être mené pour la production de quelques reines avec une souplesse au niveau du calendrier puisqu’on redémarre l’élevage à souhait en fonction des impératifs familiaux et professionnels. La technique développée repose sur un starter ouvert vertical simple (sans plateau) avec une colonie hébergée sur 3 éléments de mini-plus empilés. La première opération préparatoire sera d’isoler la reine dans l’élément du bas que l’on déplacera de quelques mètres en inversant l’orientation de l’entrée. Les cadres de l’élément supérieur seront réorganisés pour que le cadre d’élevage soit entouré à la fois de couvain naissant et de jeune couvain (apport de nourrices) ainsi que de pollen. Les ouvrières de 2 cadrons de l’élément isolé seront secouées sur les éléments orphelins et un complément d’eau miellée 50/50 sera distribué. Deux heures plus tard, l’élevage peut démarrer avec un premier picking (greffage) sur barrette placé dans l’élément orphelin du haut. Le lendemain, l’élément du bas est replacé à son endroit d’origine sous les 2 autres moyennant pose d’une grille à reine. Plusieurs options existent alors. Après 3 jours, il est déjà possible de récupérer les cupules amorcées pour les introduire en nucléis 4. Sinon, après 5 jours, les cellules operculées sont placées en couveuse et le cycle d’élevage recommencé ou arrêté. Une semaine plus tard, les reines naîtront et seront installées dans les nucléis pour la fécondation. A défaut de couveuse, il est également possible de poursuivre l’élevage jusqu’avant naissance comme pour un starter/finisseur. Au-delà, la reine étant dans l’élément du bas, il est possible de redémarrer un élevage à souhait. Il suffira de déplacer quelques cadrons de couvain entre le haut et le bas pour continuer à disposer de nourrices et permettre à la reine de continuer sa ponte.

Comme on le voit, cette méthode offre beaucoup d’avantages tant au point de vue organisation et confort de travail que dans la garantie d’un nombre de jeunes nourrices logées dans un volume adéquat avec une bonne régulation thermique pour garantir un élevage de qualité. Finalement, nul besoin d’un équipement onéreux et techniquement difficile à maîtriser.

La conférence a été enregistrée et peut être visionnée pour en retenir tous les détails utiles 5

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Voir l’analyse de Gérard Arnold, ancien Directeur de recherche au CNRS
2. Gilles Fert. Apiculture – L’élevage des reines. Rustica Editions
3. L’article est extrait de la revue ANERCEA n° 100 : pp. 29-31
4. Cette technique d’utilisation de cellules amorcées à 3 jours est exposée dans la vidéo des Ruchers d’Argonne
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