Actualités apicoles 2017-07

Par Benoît Manet

Parmi les individus de la ruche, le regard se porte le plus souvent sur la reine et les ouvrières. La qualité de la première associée au nombre et aux activités des deuxièmes orientent les caractéristiques de la colonie. Et c’est bien sûr dans l’activité de butinage que chacun rencontre l’abeille dans son parcours laborieux de fleur en fleur collectant les ingrédients essentiels au développement de la colonie. Aborder la ruche ne peut pourtant éluder les mâles (ou faux-bourdons) qui forment une communauté trop souvent considérée comme parasite. Sauf pour qui fait de l’élevage, le mâle de l’abeille est trop souvent regardé comme une bouche inutile à nourrir. Il était autrefois évité voire sacrifié afin de garantir la production. L’utilisation de la cire sous forme de feuille gaufrée a eu pour fondements d’éviter que du miel ne soit détourné en cire 1 et plus radicalement que les ouvrières avaient mieux à faire que de bâtir.

Cette évolution de la pratique apicole a retranché l’émergence des mâles en quelques endroits que les abeilles ont corrigés pour déformer la trame de la cire offerte. L’autre évènement qui vint à nouveau dénigrer l’utilité des mâles fut l’arrivée du varroa. Constatant que la femelle de l’acarien se reproduisait davantage dans une cellule de mâle qui est plus longtemps operculée et un tiers plus grande, le couvain de mâles fut évité pour ne pas favoriser l’essor de la population de varroas. Ces comportements vont pourtant à l’encontre du développement naturel qui laisse une large part à la construction naturelle des cellules de mâles. La colonie est ainsi programmée pour vivre en compagnie de la part mâle de leur espèce et cela, même si la nécessité de leur présence ne se fait pas sentir dans l’immédiat. C’est évidemment aussi réducteur que de définir le rôle des mâles à la seule fonction reproductrice de l’espèce. Et si de nombreux aspects de la biologie de l’abeille sont à présent connus, il reste certains points du comportement reproductif de l’abeille qui demeurent encore inconnus. Comme ces lieux de rassemblement, appelés congrégations 2, où les mâles sont attirés dans l’attente des jeunes reines à féconder. Ces endroits n’ont pas encore révélé tous leurs mystères mais semblent correspondre à des emplacements bien définis réutilisés d’année en année et correspondant vraisemblablement à de larges zones dégagées avec des arbres proéminents structurant le paysage. Par un bel après-midi ensoleillé, chaud et sans vent, les jeunes reines quitteront momentanément leur lieu de naissance pour traverser ces endroits de rassemblement et seront pourchassées par un cortège de mâles formant une comète jusqu’à ce qu’une douzaine d’entre eux aient pu s’accoupler tour à tour pour garantir le remplissage de la spermathèque de la reine 3. Suite à quoi, les mâles en mourront directement après éjaculation et décrochage de leurs organes sexuels. Ces congrégations de mâles – on parle ici de plusieurs milliers de mâles issus des ruches présentes dans un rayon de 4 km – sont situées à 10-40 m au-dessus du sol. Il semble que les mâles soient attirés par une phéromone mâle d’agrégation sans doute produite par les glandes mandibulaires mais dont la composition chimique reste à identifier 4.

Et dans la biologie de l’abeillaud, tout est effectivement adapté à la reproduction : les yeux plus gros en volume et surface avec un plus grand nombre d’ommatidies, des antennes munies d’un article supplémentaire pour une surface deux fois plus grande mais surtout garnies de 7 fois plus de sensilles olfactives capables de discerner à distance la phéromone 9-ODA dégagée par la jeune reine vierge. De même son anatomie interne révèle au niveau du lobe antennaire du cerveau un glomérule spécialisé dans la détection de cette même hormone. Des muscles allaires bien plus développés au niveau du thorax leur permettent une endurance et une performance de vol pour rejoindre les congrégations à distance et la poursuite des femelles. Le coût énergétique du vol pour un mâle est très important : on remarque une consommation d’oxygène deux fois plus grande que celle des ouvrières ainsi qu’une élévation de la température du thorax : le choix d’une zone de congrégation proche leur permet de rester plus longtemps et d’augmenter leurs chances de s’accoupler. Sur le plan de la diversité, les rassemblements de mâles issus de colonies différentes permettent un échange des gênes évitant la consanguinité. Leur observation serait d’ailleurs un bon indicateur de la génétique des abeilles d’une zone. La probabilité pour une reine de se faire féconder par un mâle de sa ruche est ainsi très réduite. Par contre, le retour à la ruche est entaché d’un large taux d’erreur: 55% des faux-bourdons rentreront dans une ruche qui n’est pas la leur tandis que 3% se feront accepter au sein d’un autre rucher 5. Sur le plan sanitaire, cette dérive occasionne une dispersion des maladies. Il est plausible que l’apparition du varroa dans les ruchers belges ait pu se faire rapidement à cause de ce manque de fidélité. Pourtant, leur présence semble apporter aussi dans le développement et l’équilibre des colonies. Naturellement, les bâtisseuses prévoient des rayons construits pour accueillir le couvain de mâle. On le remarque dans le suivi d’un essaim naturel, ou de façon appliquée en construction naturelle en ruche Warré ou à l’utilisation de cadres à jambage 6. Ces différents cas de figure attestent de la volonté des colonies à produire des mâles. Cette observation a également inspiré la lutte mécanique du varroa par l’utilisation d’un cadre piège 7. Celui-ci est inséré non filé (éventuellement divisé par l’insertion d’une latte horizontale) muni d’une amorce de cire de 1 à 2 cm maximum. Placé en contact avec le couvain, les abeilles auront tôt fait de le bâtir en cellules de mâles. Une fois pondu et operculé, le cadre est découpé et remis en place. En le recoupant à quatre reprises en avril et juin, il est permis de diminuer la population de varroas de 25% en attendant le traitement d’été après récolte qui reste obligatoire. Cette technique de piégeage possède également des effets inattendus : elle semble contenir l’essaimage par le travail supplémentaire demandé aux ouvrières bâtisseuses tout en gardant une production au moins équivalente et un hivernage mieux préparé en abeilles d’hiver. Dans ces colonies mieux équilibrées, la qualité des mâles est accrue par une meilleure spermatogenèse et les plus vigoureux auront une meilleure capacité à féconder les reines 8. Ces relations complexes liées à l’organisation des colonies doivent nous faire réfléchir sur les pratiques apicoles adoptées. Tout comme à l’heure où paraissent deux nouveaux articles scientifiques sur les effets des néonicotinoïdes au travers d’expérimentations en champ à grande échelle, il semble aussi indispensable d’appréhender les tests préalables à l’agrément de nouvelles matières actives sur la fraction des mâles et l’incidence de ces molécules sur leurs capacités reproductrices.

A suivre …

Un tournoi… des ruchers

Tous les deux ans, une association apicole en collaboration avec le CARI organise le Tournoi des ruchers. Cette année, c’était au tour de la Fédération Royale Provinciale Liégeoise d’Apiculture (FRPLA) de prendre la main pour organiser ce 7ème tournoi dans la région herbagère et minière du Pays de Herve.

Tout en s’adressant aux apiculteurs confirmés, il permet de découvrir différentes facettes de l’apiculture régionale par des parcours et épreuves ludiques. Au départ du beau domaine provincial de Wégimont près de Soumagne, les différentes équipes de 3 à 5 personnes se déplacent en voiture pour sillonner la région à la découverte des fleurons touristiques comme la ville de Herve et son ancienne gare transformée en Maison du Tourisme, le site de l’abbaye Notre-Dame du Val-Dieu à Aubel, le site des anciens charbonnages de Blegny-Mine, … tout en rencontrant les apiculteurs du coin et leur savoir-faire apicole : découverte de la Carnica (ou pas), de la Deutsch-Normal-Maß (DNM) (ou pas), de la technique de traitement de la varroase avec le Nassenheider Pro (ou pas).

Les équipes participantes ne sont pas ménagées devant tantôt marquer des faux-bourdons ou classer les couleurs de marquage de reines, tantôt reconnaître différents miels à la dégustation, tantôt identifier des plantes mellifères ou différents insectes, tantôt expliquer la méthode Snelgrove, tantôt encore reconnaître des œuvres littéraires ou musicales inspirées par les abeilles. Beaucoup de motivations, d’échanges, de découvertes et surtout une superbe organisation dans une région et un cadre exceptionnels.

Trophée Saint Ambroise 2018

Trophée Saint Ambroise 2018

Ce Tournoi est organisé en alternance avec le Trophée Saint-Ambroise réservé aux apiculteurs débutants qui se tiendra en juin 2018 à Louvain-la-Neuve avec là aussi un circuit d’une dizaine d’épreuves pour confronter les équipes à différentes situations de terrain. Un rendez-vous à prendre pour nos candidats-apiculteurs du rucher-école qui, dans la foulée des examens de fin de deuxième année, pourront se tester sur le terrain du jeu (ou pas).

Benoît Manet

Notes:
1. On admettait généralement qu’1 kg de cire nécessitait la consommation de 8-10 kg de miel.
2. En anglais : DCA : Drone Congregation Areas
3. Page, R.E. (2013). The Spirit of the Hive. Harvard Universty Press
4. Projet Evolbee et Brandstaetter A.S., Bastin F. & Sandoz J.-Ch. (2013). Honeybee drones are attracted by groups of consexuals in a walking simulator. Journal of Experimental Biology 2014 217: 1278-1285; doi: 10.1242/jeb.094292
5. Soland-Reckeweg (2006). Genetic differentiation and hybridization in the honeybee (Apis mellifera L.) en Switzerland. PhD thesis. Universität Bern, Bern
6. Le cadre à jambage de Bernard Nicollet
7. Technique du cadre piège
8. Loftus J.C., Smith, M.L. & Seeley, T.D. (2016). How Honey Bee Colonies Survive in the Wild: Testing the Importance of Small Nests and Frequent Swarming. PLoS ONE 11(3): e0150362.
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