Actualités apicoles 2017-03

Par Benoît Manet

« Trappist », un clin d’œil à notre pays pour cette étoile située à 40 années-lumière de la Terre. Une équipe d’astrophysiciens belges en collaboration avec la NASA vient d’y découvrir sept planètes différentes qui orbitent autour d’elle. Et à partir de là, se projeter dans cet infini avec l’intention de savoir, comprendre, avec l’idée qu’un autre monde pourrait abriter la vie. Cette naine rouge neuf fois plus petite que notre soleil laisse l’homme les yeux tournés vers le ciel et son immensité. En même temps, elle nous rappelle cette contingence en ce que la seule planète ayant montré sa capacité à héberger la vie est notre Terre. Cela ne peut que nous encourager à mieux la respecter et apprécier ce parcours inattendu. Position privilégiée et pourtant tellement précaire !

Et d’évoquer les monastères pour faire allusion à la la bière qui y est brassée mais aussi sans doute le lieu où l’homme s’interrogeait quant à sa place dans l’univers. Réflexion spirituelle cadencée par le silence, le travail et la prière. C’était aussi le lieu où se fabriquaient les cierges destinés aux offices, symbole de la vraie lumière en désignant le Christ. Et de s’approvisionner par transaction ou de la produire au sein des abbayes et des presbytères considérant la cire comme une ressource aussi importante que le miel. Pas étonnant que moines et prêtres se sont révélés maîtres dans cet art de l’apiculture. Ainsi des noms comme Schirak, Langstroth, Mendel, Dzierzon, Voirnot, Warré, … restent encore et toujours inscrits dans le vocabulaire apicole.

La connaissance aussi par la recherche pour alimenter le débat et permettre la prise de décision en connaissance de cause. Depuis la Convention d’Aarhus (1998), une obligation revient aux états de donner accès à l’information, de laisser la participation du citoyen dans le processus de décision en communiquant ses préoccupations dès qu’il s’agit d’un programme lié à l’environnement. Face aux nombreux défis que posent la préservation des pollinisateurs et la santé des abeilles, un nouveau plan fédéral a été préparé. Ce Plan Abeilles programmé pour une période de 2 ans sera adopté prochainement après une phase de consultation publique qui s’étend du 6 mars au 4 mai 2017. Durant cette période, votre avis compte et est souhaité.

Cette fois, le Plan en préparation se déclinera en 8 volets dont plusieurs d’entre eux sont des programmes de recherche axés sur le monitoring et la lutte contre les maladies des abeilles ainsi que la gestion des risques liés aux produits phytopharmaceutiques et à l’introduction d’espèces exotiques comme le frelon asiatique ou le petit coléoptère des ruches. Plus pratiquement, en termes d’aides aux apiculteurs, le Plan vise un renforcement du rôle des vétérinaires dans la gestion de la santé des abeilles (varroase principalement) et l’accès aux différents médicaments par la mise en place d’un système de guidance vétérinaire. Celui-ci s’appuiera sur un contrat volontaire entre l’apiculteur et un vétérinaire agréé pour l’apiculture. Les apiculteurs qui en acceptent le principe sont soumis à une visite de leur rucher tous les 4 ans et à une session d’information tous les 6 mois pour renouveler l’accès aux médicaments. Ces sessions pourront s’organiser au niveau de groupements d’apiculteurs afin d’évaluer le mode de lutte préconisé et de diminuer les coûts liés aux prescriptions. C’est aussi à cette occasion que sera remis à l’apiculteur le document (DAF 1) lui permettant de détenir la réserve de médicaments utiles pour une période légale de 6 mois. La visite du rucher n’est pas synonyme d’un contrôle mais doit s’envisager comme une garantie du bon respect des pratiques apicoles sur le plan sanitaire. Faut-il y voir malice lorsqu’ailleurs dans le texte, on affirme le niveau de formation des apiculteurs bien souvent insuffisant ! Quant au prix appliqué, la tarification reste libre et négociée entre apiculteurs et le vétérinaire agréé 2 A la consultation de départ du rucher, il faudra ajouter les prestations liées à l’info-session qui seront variables selon le nombre d’apiculteurs participants ainsi que le coût des médicaments délivrés mais accessibles à coût diminué. Il en est aussi de leur disponibilité. Actuellement, la prescription est faite sur base des médicaments disponibles sur le marché ou par recours au système de la cascade qui permet de disposer d’un médicament autorisé dans un autre pays de l’Union. Ce dernier aspect sera notamment repris par des adaptations législatives au plan européen ainsi que par la suppression de la redevance à l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments vétérinaires apicoles sur le marché belge. Ceci devrait à terme permettre de disposer plus souplement de médicaments agréés ailleurs notamment en fonction de l’avancée des connaissances mais non encore disponibles sur le marché belge en fonction de sa petitesse. Cette nouvelle orientation de guidance vétérinaire modifiera le suivi sanitaire des colonies pour les années à venir. Et qu’on ne se leurre, Plan ou pas, les négociations vont dans le sens d’une mise en application dès la parution de l’Arrêté royal. Tout comme il en est des programmes de recherche pour lesquels des montants conséquents ont déjà été engagés 3 avec un souci opportun de cohérence entre les différents niveaux de pouvoir. La consultation portera davantage sur les modalités et les préoccupations vis-à-vis des problématiques abordées. Ainsi, cet outil de guidance est certes une avancée mais elle dirige l’apiculture dans une conduite interventionniste, considérant a priori qu’une colonie n’est pas dans un optimum biologique et qu’elle nécessite un traitement curatif compensatoire. C’est sous-estimer toute l’approche prophylactique qui doit régir la pratique apicole. C’est cette approche que nous essayons de transmettre dans nos cours. D’abord, comprendre les conditions qui occasionnent les stress aux colonies en atténuant autant que possible les risques liés aux carences, intoxications et autres facteurs pouvant faire passer l’agent pathogène au stade de maladies. Pour la varroase, il est évidemment illusoire de se débarrasser complètement de l’acarien. L’enjeu visera la diminution de la population de varroas à un niveau plus supportable. Ici, la lutte médicamenteuse sera précédée par la mise en place d’une série de méthodes de lutte biotechniques. Il faut également être conscient de l’accumulation de ces molécules de traitement dans les cires. Un article éclairant paru dans le dernier numéro de la revue du CARI 4 expose bien la situation de pollution actuelle des cires du commerce par différents pesticides dont aussi des produits acaricides utilisés lors des traitements. L’approche prophylactique vise également une augmentation de l’immunité individuelle et sociale de l’abeille, notamment par une nourriture abondante mais surtout diversifiée tout au long de la saison. Des apports en nectar mais plus fondamentalement, des rentrées en pollen de qualité et multiples pour garantir une alimentation équilibrée en acides aminés nécessaires à son métabolisme et à la préparation des futures abeilles. Le modèle agricole actuel rend ces ressources diverses trop ponctuelles quand elles ne sont pas quasi inexistantes. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander le respect des pollinisateurs tant sauvages que domestiques dans le paysage agricole. Aussi étonnant que cela puisse paraître, plusieurs études scientifiques récentes ont d’ailleurs montré l’utilité des adventices pour les pollinisateurs dans les cultures de céréales par exemple 5. Entre cultures conventionnelles et cultures biologiques, il a été mesuré une modification de la flore des adventices par une raréfaction de 50 % des espèces principalement menacées ou rares et entomophiles au profit des espèces nitrophiles ou résistantes aux herbicides, en particulier les graminées. A ce niveau, on ne peut que se réjouir – comme le souligne le point 6 du Plan – de la révision attendue dans la réglementation sur la lutte obligatoire des chardons en agriculture.

Un autre axe de travail pour contrer le recours aux traitements est à entrevoir dans la sélection d’une abeille au comportement hygiénique (VSH) avec une tolérance innée à la pression du varroa. Le programme « Arista Bee Research » essaie de repérer cette faculté dans une série de colonies et de les élever en utilisant une technique originale d’insémination artificielle à 1 mâle pour en contrôler l’homogénéité génétique. Une fois la résistance acquise et vérifiée par différents contrôles, des colonies de production classiques sont constituées afin de vérifier les autres caractéristiques recherchées par l’apiculteur.

Frère Adam

Frère Adam
By Wikipedia

Ce travail conséquent n’est pas sans rappeler le génie du Frère Adam 6 qui dans les murs de l’abbaye de Buckfast – on y revient – a démarré un véritable travail de sélection sur l’abeille noire anglaise qui se trouvait décimée par la maladie dite de l’île de Wight (que l’on connaît chez nous sous le nom de l’acariose). Quand il commença l’apiculture en 1915, il n’avait alors que 16 ans. Et en 1917, soit voici juste 100 ans, il ne pouvait que constater l’effet délétère de cette maladie sur les ruches de l’abbaye dont il avait la charge. Seules subsistaient les colonies dont la reine était d’origine étrangère. Ces observations incitèrent le jeune frère à entamer l’élevage d’une abeille qui serait résistante à cette maladie. Ce n’est que quelques décennies plus tard, convaincu qu’une abeille pouvait acquérir une série de qualités, à force de voyages et d’échanges, et après avoir travaillé par croisement et sélection en fixant les caractères souhaités qu’il arriva à créer l’abeille Buckfast. En 1991, avec l’apparition récente et inquiétante du varroa, il déclarait : « Seule une abeille pleinement résistante et génétiquement armée sera l’ultime réponse à cette menace ». Cette lucidité n’a pas trompé les chercheurs qui ont poursuivi son travail en utilisant des techniques modernes pour gagner du temps dans cette course contre la montre et rompre les rapports de force entre prédateurs et proies, véritable syndrome de la reine rouge selon la métaphore extraite d’un livre de Lewis Caroll. Alice demanda alors : « Mais, Reine Rouge, c’est étrange, nous courons vite et le paysage autour de nous ne change pas ? » Et la reine répondit : « Nous courons pour rester à la même place. » 7.

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Document d’Administration et de Fourniture. Ce document est à conserver 5 ans dans le Registre de production.
2. Lors de la journée de l’apiculture à Namur en janvier, les montants indicatifs de 100 EUR par visite de rucher et de 100 EUR de l’heure pour une info-session ont été cités, ce dernier montant étant à diviser par le nombre d’apiculteurs participants.
3. Les montants annoncés s’élèvent à 200.000 EUR pour le suivi Bee Best Check , 400.000 EUR pour le suivi Varresist ou encore 350.000 EUR pour le projet Apirisk.
4. COLIN, M.E., 2017. La pureté de la cire, indispensable à la santé de la colonie. Abeilles & Cie, 176 : 31-33.
6. Karl Kehrle, 1898-1996
7. Lewis Carroll, À travers le miroir, Chapitre 2 (deuxième volet d’Alice au pays des merveilles).
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