Actualités apicoles 2016-05

Par Benoît Manet

Roundup

Roundup

En jargon journalistique, le verbe round up signifie rassembler de l’information sur un sujet d’actualité. Une signification qui prend une allure étrange, plus proche de celle qui motive cette chronique que de la signification courante qu’on lui assigne lorsqu’on parle du produit-phare de Monsanto. Cet herbicide non sélectif à base de glyphosate commercialisé depuis 1975 est passé dans le domaine public depuis 2000. Avec la libération du brevet, il est actuellement utilisé dans plus de 750 produits pour l’agriculture, la foresterie, les usages urbains et domestiques au point d’en faire l’herbicide le plus vendu au monde. Mais grain de sable dans cette belle aventure, en plus de certains reproches éco-toxicologiques, l’Organisation mondiale pour la Santé (OMS) a classé l’an dernier le glyphosate comme un cancérogène probable pour l’homme. Cet épisode a marqué le grand public si bien qu’au moment de reconduire l’autorisation de ce désherbant au niveau européen, un vaste mouvement de contestation s’est amplifié. Les pétitions et interpellations ont tenté d’influencer la décision européenne d’autant que les débats portaient pour un renouvellement jusqu’en 2031. Force est de constater que plutôt que de rassembler et de réunir comme la traduction du mot le laisse entendre, le débat amène davantage la division.

Division au niveau de la société civile vis-à-vis de ses élus lorsque Willy Borsus, Ministre fédéral de l’Agriculture, en concertation avec Maggie De Block, Ministre de la Santé publique, et sur base de l’avis du SPF Santé publique, se montre favorable à la reconduction de l’herbicide. Au même moment où, le printemps s’annonçant, les spots publicitaires en font l’arme indispensable pour garder une nature « propre ». Division également entre niveaux de pouvoir alors que, après que la région de Bruxelles ait déjà interdit l’utilisation du glyphosate sur son territoire, Carlo Di Antonio, notre Ministre régional de l’Environnement, s’interroge sur une même interdiction dans l’espace régional wallon. La proposition est sur la table et prévoit l’interdiction de l’utilisation du glyphosate notamment chez les particuliers 1. Au niveau européen, divergence aussi entre les eurodéputés qui finalement font légère machine arrière et proposent une reconduction de seulement 7 ans : décision finale au niveau européen le 18 ou 19 mai prochain. Cette action doit également mobiliser les apiculteurs qui étaient d’ailleurs représentés devant les bureaux européens à Bruxelles en mars dernier lors de la remise d’une pétition de 180.000 signatures. Un autre modèle agricole est demandé qui soit plus respectueux de l’environnement y compris de la flore compagne qui offre support et ressources aux auxiliaires des cultures que ce soit par des bords de champs diversifiés ou des bandes annexes. L’utilisation des herbicides supprime une flore utile et la banalise au bénéfice de plantes plus résistantes et plus concurrentes pour les cultures.

A côté de cet important dossier, revient également le débat autour des néonicotinoïdes. Un nouveau texte sera prochainement sur la table des parlementaires wallons au regard des nouveaux rapports scientifiques. Il faut rappeler que le même Ministre Di Antonio avait affiché son intention en mars 2015 d’interdire purement et simplement cette catégorie d’insecticides. Cette décision bien évidemment louable va plus loin que ce que n’impose la réglementation européenne, le tout sur base du principe de précaution. Mais agriculteurs et horticulteurs estiment cette décision excessive car elle impacterait largement le secteur : perte de production (de plus de 40% selon les dires des betteraviers), perte de concurrence face aux pays voisins, apparition de résistances, impact au final négatif pour l’environnement. Les représentants des Fédérations de producteurs invitent les députés wallons à un petit-déjeuner à Gembloux pour les convaincre de ne pas entériner ce projet de décret 2. Ils espèrent également convaincre leur bon droit en proposant d’associer le monde apicole à « la mise en place de bonnes pratiques et de systèmes d’alertes pour réduire l’impact sur les abeilles (dixit) ». Ici aussi, les apiculteurs considèrent que l’agriculture est à un tournant important 3 et souhaitent qu’elle se réfléchisse non plus en terme de rendements et d’améliorations techniques mais davantage en termes de production de qualité dans le respect de la nature et du consommateur. Un insecticide reste un insecticide, soit un produit de lutte qui agit dans le but de détruire les insectes, dont font partie les abeilles (et d’autres insectes utiles). Quantité d’études démontrent actuellement les effets délétères des néonicotinoïdes, notamment en ce qui concerne la perturbation des comportements et capacités comme la perte d’orientation, une moindre qualité de l’élevage, une durée de vie raccourcie, une sensibilité accrue aux maladies, … Remettons ces deux dossiers importants pour l’apiculture en perspective à l’heure où la Wallonie entame non plus sa semaine sans pesticides mais dorénavant sa campagne étendue « Printemps sans pesticides en Wallonie » qui a débuté le 20 mars dernier pour se poursuivre jusqu’au 20 juin prochain 4.

La campagne Printemps sans pesticides en Wallonie

La campagne Printemps sans pesticides en Wallonie

Les mortalités constatées ces dernières années ne sauraient que nous recommander d’être vigilants à expliquer et chiffrer les cas de mortalités. La FAB-BBF propose un questionnaire annuel destiné à quantifier le phénomène de dépérissement en Belgique de façon à répercuter la réalité de terrain auprès des différentes instances.

L’observation de nos abeilles reste toujours source d’enseignement. Et lorsque cette observation est proposée par un chercheur de qualité comme Thomas Seeley, elle ne peut s’assortir que d’enseignements des plus intéressants. Je vous ai déjà parlé de Thomas Seeley, ce chercheur de la Cornell University aux Etats-Unis, et disciple de Martin Lindauer, qui a découvert et expliqué pas mal du comportement des abeilles et notamment de ce qui est de l’essaimage. Les résultats de ses travaux ont été publiés pour le grand public dans un livre bien nommé et récompensé « La sagesse de la ruche ». Ses dernières publications portent sur des sujets toujours intéressants (pour ne reprendre que quelques-unes des dernières parues cette dernière année) comme l’adaptation de comportement des ouvrières qui varie entre l’emmagasinage du miel et l’optimalisation dans la production d’individus mâles, l’évolution génétique constatée liée à l’apparition de varroa sur base de comparaison d’exemplaires de collection de musées ou plus récemment l’évaluation des petits nids et de fréquents essaimages sur la survie de colonies d’abeilles redevenues sauvages 5. Le chercheur part du constat que de petites colonies rencontrées dans la nature survivent en dépit du varroa. Elles ne sont pourtant pas traitées au moyen d’acaricides. Il émet l’hypothèse que c’est la taille du nid qui pourrait favoriser l’infestation du varroa c’est-à-dire que plus la ruche aurait un grand volume, plus elle serait infestée. En essaimage naturel, les colonies se fixent en des endroits dont le volume avoisine les 30-60 litres alors qu’une ruche de production a un volume de 120-160 litres (soit 2-4x plus grande en volume). Il en découle un essaimage plus pressant du fait du petit volume et par conséquent une plus faible charge en varroas. En effet, l’essaimage induit une rupture de couvain qui brise la dynamique populationnelle du parasite. Il en découle une exportation de 35% de la population de varroas du simple fait de l’essaimage sur base du fait que l’essaim part avec 70% des ouvrières qui elles-mêmes sont porteuses de varroas phorétiques pour moitié. Au terme de 2 ans de suivi, il en arrive aux conclusions qu’il y a bien un effet lié à la grandeur du nid sur le taux d’infestation qui est seulement du tiers de celui détecté dans les ruches de production. Ces petites colonies sont toujours vivantes et ne présentent pas de signes de maladies comme le symptôme des ailes déformées qui traduit un haut niveau d’infestation. Ses recommandations en termes de pratiques apicoles prônent la division des colonies en saison comme méthode non chimique de réduction de la charge en varroas. Le placement en ruchette d’une partie de la colonie et du couvain en compagnie de la reine (essaimage artificiel) est certainement une technique à préconiser. Comme l’est également le blocage de ponte de la reine en place par encagement qui a des effets correspondant à un essaimage. Nous pouvons également réfléchir aux observations des fervents de la ruche Warré qui défendent que ce volume est plus adapté à une tolérance au varroa. Avec un printemps qui se languit, il est à craindre aussi la préparation de colonies à leur essaimage. Forts de ce constat, nous ne considérerons plus cet épisode de la même façon.

Enfin, comment ne pas évoquer la réforme des cours d’apiculture en Wallonie qui ont déjà fait l’objet de commentaires dans les cercles concernés. Si cette nouvelle façon de travailler n’hypothèque pas les formations bien nécessaires à la préparation des candidats-apiculteurs, elle soumet les ruchers-écoles à un nouveau niveau d’exigences qui laisse encore beaucoup d’interrogations quant à leur pérennité.

Dans le contexte des événements troubles qui tentent de déstabiliser nos sociétés, une image m’est revenue en mémoire à propos de l’accès à l’éducation : celle du discours de Malala Yousafzai lors de la remise du Prix Nobel de la Paix en 2014. Victime du terrorisme dans son pays natal, cette jeune pakistanaise de 17 ans réaffirme le droit à l’éducation de chacun pour garantir la paix de tous.

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Le Soir du lundi 25 avril 2016 – pages 2-3
2. Vers l’Avenir du samedi 23 avril 2016. Page 6 – L’info
3. Séverin Hatt, Sidonie Artru, David Brédart, Ludivine Lassois, Frédéric Francis, Eric Haubruge, Sarah Garré, Pierre M. Stassart, Marc Dufrêne, Arnaud Monty, Fanny Boeraeve, 4/2016. Towards sustainable food systems: the concept of agroecology and how it questions current research practices. A review. in Biotechnology, Agronomy and Society and Environment 20(S1). 10 p.
4. La campagne Printemps sans pesticides en Wallonie
5. Loftus, J. C., Smith, M. L., & Seeley, T. D. (2016). How Honey Bee Colonies Survive in the Wild: Testing the Importance of Small Nests and Frequent Swarming. PLOS ONE, 11(3), e0150362.
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