Actualités apicoles 2015-09

Par Benoît Manet

L’année apicole marque un pas avec la fin de miellée d’été. Déjà, il faut penser à la préparation des colonies pour l’hiver (resserrement, nourriture, …). Sans oublier de vérifier la pression du varroa sur les colonies. Dans le cycle de développement, les colonies se situent à une période où la ponte a diminué. Par contre, l’acarien Varroa, lui, a profité de la saison pour augmenter sa population. Le niveau de déséquilibre entre le nombre de varroas et les abeilles met en difficulté la production des jeunes abeilles d’hiver dont la teneur en vitellogénine (protéine) concentrée dans les corps gras doit garantir sa longévité. Aussi, il est devenu habituel (sinon nécessaire) de considérer cette période entre la récolte d’été et le début du nourrissement automnal comme une période propice à la lutte contre le varroa. Ce traitement, s’il est efficace, permet de diminuer sensiblement cette pression prédatrice. Cela oblige néanmoins à utiliser certaines substances dans la ruche. Certains utiliseront des produits de la chimie de synthèse tandis que d’autres essaieront d’utiliser des substances proches de la nature par conviction ou économie. Le tout est d’être conscient des caractéristiques des produits utilisés et de leur impact vis-à-vis de la santé de l’abeille tout comme de la santé humaine puisque les produits de la ruche participent à notre alimentation.

Cet été, le Comité scientifique de l’AFSCA a publié un avis concernant le problème des résidus dans la cire d’abeille. Evidemment, l’objectif premier de ce texte est de se pencher sur l’exposition chronique et le risque encouru par le consommateur de miel ou de cire. En cela, les conclusions sont plutôt rassurantes puisque, en considérant un scénario « au pire », la consommation de ces produits ne compromet pas la santé ! Un bémol toutefois avec un insecticide/acaricide (utilisé contre les tiques, la gale, les poux), la fluméthrine, qui pourrait atteindre les 100% de la dose journalière admissible (mais est déjà présente dans d’autres produits de notre alimentation). Sinon, la démarche menée dans cette étude nous donnera une grille de lecture alternative sur les autres aspects liés au cycle de la cire en apiculture.

« Étrange sueur presque aussi blanche que la neige et plus légère que le duvet d’une aile » la qualifiait Maurice Maeterlinck 1.

La vie des abeilles

Elle apparaît à l’intersection des anneaux abdominaux (sternites) de l’ouvrière, libérée par 4 paires de glandes spécifiques. On estime qu’il faut environ 1 million de ces écailles pour obtenir 1 kg de cire. Et d’une autoproduction 2 énergivore 3, les abeilles en feront un émerveillement de géométrie. La cire, au départ liquide, est ramenée sous forme d’écailles au niveau des mandibules et est travaillée pour être utilisée dans l’édification des rayons par la juxtaposition des fameuses alvéoles 4 à la forme hexagonale admirable. Les gâteaux de cire sont ainsi formés de deux séries d’alvéoles se rejoignant en leur base par trois rhombes (losanges) en fond pyramidal imbriqué entre les fonds des trois autres cellules de la face opposée. Au final, cet ensemble constitue la solution la plus économique en matière première garantissant à la fois le maximum de solidité et l’optimum d’espace. Bon nombre de naturalistes et de scientifiques tels que Pappus dès le 4ème siècle, Réaumur, Koenig, Huber au 18ème siècle ou encore Darwin au 19ème (pour n’en citer que quelques-uns des plus illustres parmi les passionnés de la question) en sont restés méditatifs. La question fut reprise sur un plan mathématique au 20ème siècle (théorème du nid d’abeilles de Thomas Hales en 1999). Ce n’est finalement qu’assez récemment que le mystère du pavage hexagonal fut percé. En 2013, Bhushan Lal Karihaloo 5 démontre que le travail des ouvrières chauffe les alvéoles circulaires à une température de 45°C, ce qui permet par la viscoélasticité de la cire et la simple compression des alvéoles entre elles, de passer d’une forme circulaire à une forme hexagonale. CQFD !

Les rayons sont destinés au stockage du couvain, du pollen et du miel. Le grenier est bien rempli ; la récolte peut avoir lieu. Traditionnellement, le miel est consommé en rayon ou pressé après découpe des rayons. Depuis l’utilisation des cadres mobiles et de l’extracteur, la cire a pris d’autres voies : elle est réutilisée (cadres bâtis), recyclée (cire gaufrée) ou valorisée hors du rucher (bougies, encaustiques, cire alimentaire). Ce principe de réutilisation au sein du rucher permet une certaine économie dans l’activité de construction mais par contre retient une série de substances au cours du temps. En dépit de ses nombreuses qualités, la cire, de par son caractère gras, peut fixer odeurs et résidus. Ainsi, après plusieurs cycles de couvain, la coloration de la cire tend à foncer. La propolis et le pollen ont tendance à colorer la cire. Elle tend vers le brun foncé noirâtre après avoir contenu du couvain au contact des restes des cocons. Sur le plan de la prophylaxie, la couleur est un bon critère appelant à écarter ces cires trop vieilles pour soulager la colonie d’une charge parasitaire trop importante. Les cires peuvent ainsi contenir les spores de la loque américaine. Ces organes de reproduction latents résistent très bien dans la cire. Seul le chauffage de la cire à une température de 130°C pendant 30 minutes permettrait de se débarrasser des spores de loque. Mais pas de psychose : seules de très hautes contaminations sont susceptibles de provoquer la loque. Une contamination normale de la cire achetée n’est pas problématique.

Depuis l’arrivée du varroa, la cire s’est aussi chargé des résidus de produits de traitements (médicaments). Sont venus s’ajouter une série de produits de traitements des cultures (fongicides, insecticides) ramenés à la ruche par les butineuses ou encore des produits de traitement des éléments de la structure de la ruche. Ne négligeons pas les contaminations possibles lors de l’entreposage des cadres (produits utilisés contre la teigne p. ex.). Avec l’arrivée de techniques de laboratoire plus performantes et dans le contexte du dépérissement des colonies, plusieurs études utilisant les produits de la ruche ou les abeilles comme matrices de détection des contaminants ont permis depuis une dizaine d’années de révéler leur présence. Depuis, ces matrices ont par exemple été utilisées comme des indicateurs de la qualité de l’environnement dans certaines grandes villes, ou comme par exemple à la société Spadel pour surveiller l’état de l’environnement sur ses sites de captage 6.

Sur base des différentes études recensées dans le travail de l’AFSCA en Belgique et en France, il est retenu une liste de 18 produits (médicaments anti-varroase, produits de protection des cultures agricoles, biocides) parmi 61 résidus détectés dans la cire. Certains de ces produits témoignent d’un lourd passé dans leur utilisation comme le DDT ou le Lindane utilisés en agriculture mais interdits depuis plusieurs années et dont des traces apparaissent encore dans certains échantillons. Parmi les varroacides, des résidus de traitement au coumaphos (Perizin) et au tau-fluvanilate (Apistan) sont parmi les plus récurrents avec une quasi-omniprésence dans les échantillons analysés. En fait, il est connu que la cire agisse comme une éponge en retenant une série d’éléments. Ces substances acaricides se montrent particulièrement lipophiles avec des effets de toxicité chronique dus à la proximité vis-à-vis du couvain d’abeille ainsi que des effets de résistance à terme dans l’efficacité des traitements contre les varroas 7. Ces informations nouvelles doivent nous pousser à réfléchir aux filières utilisées pour nous procurer nos cires. Les cires du commerce sont systématiquement polluées par différents résidus. Ces cires proviennent le plus souvent de l’étranger (Chine le plus souvent) où les normes sont moins strictes, certains produits encore utilisés alors qu’interdits chez nous. Il semble que la filière bio ne soit pas plus à l’abri. L’étude cite le cas d’un échantillon de type bio issu du Cameroun : des traces d’insecticides dont du DDT y ont été détectés.

Plus interpellant encore, ce cas rapporté d’un essaim nu n’ayant pas reçu de cire à son démarrage et qui pourtant révèle par la suite une série de résidus dont le tau-fluvalinate ainsi que divers produits de pulvérisation agricoles (fongicides, herbicides, insecticides). Il semble par conséquent illusoire, sur base de ces exemples, de trouver de la cire exempte de résidus (en propre ou dans le commerce). Toutes le cires sont ou seront contaminées par nos pratiques ou par l’environnement proche. Il convient de prendre les mesures nécessaires pour tout au moins réduire la présence de ces résidus en réformant les cires trop âgées (trop foncées) et en les écartant d’une refonte pour gaufrage, de ne retenir pour cet usage que la cire d’opercules récupérées à l’extraction. Il est clair que, fort de ces premières conclusions, d’autres études seront nécessaires pour caractériser les cires utilisées en apiculture, qu’elles proviennent du commerce ou du rucher. Des recherches devront également être menées afin de « purifier » industriellement les cires avant gaufrage 8. Par ailleurs, on ne peut qu’appuyer les lobbys apicoles ou non qui demandent de réduire voire interdire certaines familles de pesticides ou biocides. C’est aussi un pas à faire afin d’éviter que les cires soient polluées par ces différentes molécules. On retiendra entre autres la déclaration de l’EFSA qui a confirmé dans un avis du 26 août que l’application de pesticides néonicotinoïdes sous forme de pulvérisation foliaire présente un risque important pour les abeilles. Cette expertise devrait conduire la Commission européenne à revoir la décision qu’elle a prise en 2013 de restreindre l’usage de ces molécules. La partie est pourtant loin d’être gagnée car la Commission peut céder à la pression des lobbies agrochimiques et remettre en circulation ou autoriser certaines substances. Elle l’a déjà fait récemment puisque fin juillet elle a autorisé la mise sur le marché d’un nouvel insecticide neurotoxique, le sulfoxaflor malgré les réticences de l’EFSA et les réactions du monde apicole. L’interdiction de ces serial killers doit rester un enjeu de sécurité alimentaire majeur.

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Maeterlinck, M. La vie des abeilles, livre III, chap 12
2. C’est le scientifique allemand Hornbostel qui rapporta pour la première fois en 1744 que c’était les abeilles elles-mêmes qui produisaient la cire. Jusque-là, on se référait à Aristote qui croyait que la cire provenait des fleurs.
3. La formation de cire demande de l’énergie sous forme de glucides trouvés dans le nectar et le miel. Le ratio nécessaire entre le sucre et la cire est évalué à 20:1 soit environ 2 kg de sucres pour construire un cadre contenant 100 gr de cire.
4. Alvéoles : le mot est curieusement féminin… ou masculin !
5. Karihaloo BL, Zhang K, Wang J, « Honeybee combs : how the circular cells transform into rounded hexagons », Journal of the Royal Society. Interface, vol. 10, no 86,‎ 6 septembre 2013
6. Projet BeeSpa.
7. Des cas de résistance aux traitements ont déforcé l’arsenal des produits à disposition. Plus récemment, de la même façon, on observe également une perte d’efficacité du traitement au thymol.
8. Méthodes de purification au moyen de charbon actif. Cfr. Ulrich D., 2003. Method for removing coumafos from beeswax. United States Patent n°US 6,586,610 B2 ou Gerster H., 2015. Verfahren und Vorrichtung zum Aufreinigen von Bienenwachs Europäische patentanmeldung n°EP 2 824 168 A1
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