Actualités apicoles 2015-03

Par Benoît Manet

Apprendre, prendre de la hauteur et répondre par la nouveauté. Tel pourrait être le fil de cette chronique.

Louis Pasteur

Louis Pasteur

« Le microbe n’est rien. Le terrain est tout. » Pasteur1

L’usage des produits chimiques en termes de traitements des hommes, des animaux et des plantes est devenu un réflexe. Qu’ils se nomment médicaments, produits de traitement, phytosanitaires, ils offrent une réponse spontanée aux problèmes de santé rencontrés. Pourtant, les mécanismes d’autodéfense sont présents chez les plantes et les animaux et ne demandent qu’à s’exprimer. L’alternative pourrait être de mieux préparer l’organisme à utiliser ses propres mécanismes de défense pour résister à la pression d’un pathogène. Une autre idée de la maladie mais surtout une autre façon de l’appréhender.

Fytofend

Fytofend

Au sein de l’Université de Namur (Facultés Notre-Dame de la Paix, Unité de Recherche en Biologie cellulaire et moléculaire végétale), les travaux du Professeur Pierre Van Cutsem sont bien connus (et reconnus) pour ce qui est de la mise en alerte des systèmes de défenses naturelles des plantes. C’est ce qu’on appelle l’élicitation : ce phénomène qui amène la plante à un état de résistance aux maladies après avoir été soumise à un traitement qui activera ses défenses naturelles (un peu à l’image d’un vaccin sur le plan animal). L’actualité récente a salué ses études sur le sujet avec l’homologation au niveau européen d’un produit de traitement constituant une alternative aux produits chimiques. Ce produit est élaboré au départ de 2 composés d’origine biologique : d’une part des fragments de pectine issus de végétaux comme les pommes, les agrumes, … d’autre part des fragments de chitosan que l’on retrouve dans les champignons ou les carapaces de crustacés. Les premiers sont des substances que l’on retrouve dans les parois des plantes en formant un ciment entre les cellules des tissus et ont montré des réactions de défense chez certaines plantes. Les seconds ont des qualités connues comme bactériostatiques ou fongistatiques. Ces composés constituent un complexe d’oligosaccharides, c’est-à-dire – pour faire simple – … des sucres reliés en courtes chaînes. La présence de cette combinaison induit chez la plante des signaux de détresse qui vont être associés à une menace imminente d’un pathogène et l’obliger à réagir en mobilisant ses propres défenses. Après la phase de recherche et de mise au point, le moment est venu de mettre ce produit en production au sein d’une spin-off créée à cet effet et d’obtenir l’homologation d’utilisation du produit commercial, le FytoSave. Le feu vert européen étant obtenu, ceci permettra de le voir bientôt disponible en traitement de cultures en prévention de maladies fongiques comme l’oïdium. Une série de ces biostimulants arrive sur le marché et constitue une solution intéressante pour des cultures sensibles aux maladies cryptogamiques comme la vigne ou les cultures en serre (concombre par exemple). Ces produits de traitement sont pour le moment 3-4 fois plus chers que les traitements fongicides classiques mais leur principal avantage est de précéder la maladie et de pouvoir la stopper jusqu’à un certain seuil sans avoir recours à l’arsenal chimique de l’agriculture conventionnelle.

Virgile

Virgile

« Ayant perdu ses abeilles, Aristée demanda la cause et le remède à sa mère Cyrène » Virgile2

Sur l’autre plan, nous relayons les efforts d’un groupe d’apiculteurs et de scientifiques cherchant à développer une abeille résistante à la pression de l’acarien Varroa. Ici aussi, il s’agit d’envisager une autre voie que le recours aux modes de traitement classiques. Il y a peu de temps, nous avons eu l’occasion d’assister à une conférence organisée dans le cadre des cours de perfectionnement du CARI sur les premiers résultats des travaux de sélection d’une abeille résistante à l’acarien car développant un comportement dit hygiénique vis-à-vis des varroas reproducteurs logés dans les cellules du couvain. Ce comportement, appelé VSH en anglais pour Varroa Sensitive Hygiene, permet de perturber le cycle du parasite3. Les ouvrières peuvent détecter les cellules du couvain infectées, détruire les larves qui s’y trouvent par cannibalisme et nettoyer ensuite la cellule. Le cycle de reproduction et de développement du varroa est ainsi rompu. S’inspirant des travaux du Département d’Agriculture des Etats-Unis (USDA), ce groupe a entamé un programme de sélection au sein d’une Fondation créée à cet effet : l’Arista Bee Research4 dont la constitution a été enregistrée dès fin 2013 et regroupe des personnalités reconnues au niveau international.

Aristee Bee Research

Aristee Bee Research

Le principe de ce programme vise l’utilisation de lignées dont le comportement hygiénique a été identifié. La fécondation des jeunes reines issues de ces lignées se fait par insémination artificielle avec un seul mâle afin d’augmenter la proximité génétique des ouvrières et repérer au mieux le comportement de ces sœurs dont le degré de consanguinité est évidemment fortement augmenté (75% plutôt que 50% en moyenne). Ces colonies consanguines sont caractérisées par un patrimoine génétique très homogène dont la mère et le père sont identiques. Ceci permet de créer des colonies avec une population d’ouvrières exprimant un comportement très similaire. Sur base des connaissances actuelles, le comportement hygiénique serait lié à deux gènes. Ceux-ci peuvent être identifiés par un marqueur. Mais sur le terrain, le travail se fait d’abord au départ d’un élevage effectué par greffage (picking) sur les lignées VSH présélectionnées. Au départ de ces reines-filles, une série de colonies-test a été créée, puis infestée artificiellement par un apport supplémentaire de varroas pour ensuite en tester la contamination du couvain après au moins 2 mois de développement. Le test VSH consiste à examiner le couvain de ces colonies-test et à séparer les cellules avec et sans reproduction de varroas (au stade nymphe aux yeux pourpres, soit au-delà de la période où la larve parasitée aurait dû être éliminée). Le pourcentage de varroas non reproductifs permet de tester le niveau de résistance dû au VSH. Ce travail laborieux permet de classer les colonies en calculant leur propension au VSH. Cette première année de test entamée sur des lignées Buckfast apporte déjà des résultats très prometteurs : 11% des lignées européennes offrent un haut niveau de protection, c’est-à-dire supérieur à 75% VSH. En 2015, l’équipe projette de poursuivre son travail afin d’atteindre 100% de résistance sur ces lignées d’abeilles. Quand ce niveau de résistance sera atteint, la phase de multiplication de colonies de production normales avec une reine accouplée à plusieurs mâles sera entamée. Les autres caractéristiques importantes en apiculture comme le rendement en miel, l’absence d’agressivité et la faible tendance à l’essaimage seront également évaluées sur base des critères habituels. Une belle perspective dans le contexte des mortalités de colonies vécues cet hiver et de façon à aider l’abeille à survivre dans un environnement difficile.

Jorge Luis Borges

Jorge Luis Borges

« Ranger une bibliothèque, c’est exercer de façon silencieuse l’art de la critique. » Borges5

A l’heure d’écrire ces lignes, l’EFSA (Autorité européenne de Sécurité des Aliments) – celle-là même qui a décidé la restriction d’utilisation des néonicotinoïdes pendant 2 années – a mis en ligne les résultats d’une revue bibliographique mondiale sur les effets des néonicotinoïdes pour les abeilles (mellifère et solitaires ainsi que les bourdons). Par ce travail de recensement des publications, il est question de compléter la base de données utile à l’évaluation des risques de ces insecticides. Ce sont pas moins de 178 publications scientifiques qui ont été identifiées comme contenant des données sur l’exposition des abeilles aux produits visés et 201 comme relevant des données sur les effets de ces mêmes produits pour ces espèces6. Le travail scientifique est conséquent et démontre, si besoin est, les effets délétères de ces molécules. Mais ces publications seront d’un poids précieux lorsqu’il faudra réexaminer le dossier d’interdiction des néonicotinoïdes.

Cette nouvelle arrive juste après que les députés français aient balayé une proposition d’interdiction complète des produits néonicotinoïdes sur le territoire sous prétexte que des bases solides manquent pour prouver la causalité de ces produits dans les mortalités d’abeilles. Sans doute ce vote s’est-il fait sous le lobby de l’industrie agrochimique qui clame haut et fort7, faisant pression sur les cultivateurs de protéagineux et oléagineux, que l’interdiction des néonicotinoïdes hypothéquerait les rendements des cultures non traitées. Ces baisses de rendement engendreraient des pertes estimées à 17 milliards d’EUR et provoqueraient de graves pertes d’emploi dans le secteur agricole (plus que 50000 emplois) selon leurs estimations. Pourtant, et de façon démonstrative, les derniers chiffres de rendement disent bien autre chose : les cultures de tournesol et maïs semées et récoltées en 2014 (par conséquent sans néonicotinoïdes) montrent à l’échelle européenne (au travers d’un large éventail de climats), des rendements récoltés supérieurs à la moyenne des 5 dernières années8 !

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Louis Pasteur
2. Virgile. Géorgiques. Livre IV. Les abeilles.
3. Comportement VSH en vidéo
4. Plus d’infos sur le site d’Arista Bee Research où les résultats des tests 2014 sont à présent disponibles.
5. Oeuvres complètes, tome 1 de Jorge Luis Borges
6. Fryday S, Tiede K and Stein J, 2015. Scientific services to support EFSA systematic reviews: Lot 5 Systematic literature review on the neonicotinoids (namely active substances clothianidin, thiamethoxam and imidacloprid) and the risks to bees. EFSA supporting publication 2015:EN-756, 656 pp. Disponible en téléchargement (en anglais – 656 p.)
8. Voir le blog de Dave Goulson, grand spécialiste de l’écologie des bourdons, à l’Université de Sussex et la publication sur les rendements des cultures agricoles à l’échelle européenne – MARS bulletin.
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