Actualités apicoles 2014-07

Par Benoît Manet

En apiculture comme en toute autre discipline, le regard en arrière est souvent utile à mieux préparer l’avenir. Voilà 30 ans, en 1984, apparaissait dans les colonies un petit acarien dont on ne savait pas grand-chose si ce n’est qu’il présentait une menace pour l’abeille d’où son nom de Varroa destructor, le bien nommé.

Varroa sur une larve d'abeille

Varroa sur une larve d’abeille
By Pollinator (own work) — English Wikipédia CC BY-SA 3.0

Sinistre anniversaire à voir les dégâts qu’occasionne toujours cet acarien dans les ruchers. Ce véritable vampire de l’abeille constitue un facteur important dans les dépérissements conjugué à la transmission d’une vingtaine de virus qui peuvent se montrer virulents dès que la colonie a perdu de sa vitalité immunitaire. Ainsi, au bout de 2 à 3 ans sans traitement approprié, la colonie parasitée risque de disparaître. Ce constat a souvent porté à dire – y compris dans le giron de nos scientifiques – que le varroa était l’explication aux mortalités des abeilles en général. Et bien qu’il fasse des dégâts sournois dans les ruchers, il semble prétentieux de lui attribuer (et à lui seul) les taux de mortalité d’abeilles enregistrés de ces dernières années (voir chronique précédente).

Nos abeilles en péril

Nos abeilles en péril
Vincent Albouy et Yves Le Conte (2014)

Vouloir atteindre l’éradication de ce parasite est impossible. Les campagnes de lutte menées précédemment nous ont montré qu’au-delà de ce côté utopique, l’utilisation de certaines molécules de synthèse comme le tau-fluvalinate, l’amitraze ou le coumaphos, pourtant efficaces au départ, engendrent au bout d’une dizaine d’années des phénomènes de résistance qui plombent leur efficacité. Très rapidement l’arsenal des moyens de lutte chimique déjà fort limité s’en trouve encore rétréci. De surcroît, il ne faut pas perdre de vue que la ruche est composée de cire dont les propriétés en acides gras en font un véritable buvard, révélateur de la pollution d’ambiance à laquelle est soumise la colonie. Une étude de l’Afssa entre 2002 et 20051 a analysé les teneurs moyennes en résidus de pesticides dans les ruchers français. Outre une série de pesticides agricoles trouvés à des teneurs variables, la pollution majeure était due au coumaphos (647 µg/kg en moyenne) et au tau-fluvalinate (220 µg/kg en moyenne), deux des acaricides de la chimie dure utilisés dans les traitements anti-varroa.

Dans le contexte wallon, une étude récente menée entre juillet 2011 et mai 2012 ne dit pas autre chose : la cire et le pain d’abeille étaient les plus contaminés avec des résidus les plus fréquemment retrouvés de tau-fluvalinate (max. 710µg/kg) et de coumaphos (max 580 µg/kg)2. Aussi, l’apiculteur a à s’interroger sur ses pratiques pour intervenir efficacement et sans compromettre le sort de ses colonies. Les huiles essentielles (HE thym / HE origan) et les acides organiques (ac. oxalique, formique, malique) sont apparus comme moyens de lutte alternatifs suite aux travaux de l’Institut suisse de Liebefeld. Ces traitements ont l’avantage de laisser peu de résidus tout en limitant l’apparition de résistances3 et constituent dès lors une option intéressante (bien que présentant eux-mêmes leurs limites). Aussi, faut-il bien réfléchir sa stratégie de lutte au travers d’un plan combinant lutte chimique (et mesurée) et moyens biotechniques pour arriver à soulager l’abeille de la pression ascendante. Un suivi d’efficacité est indispensable pour aller de l’avant.

C’est ainsi que depuis quelques années, différentes méthodes de lutte sont développées pour venir en soutien des traitements médicamenteux comme : l’apparition du plateau grillagé, l’élimination du couvain de mâles, la constitution de ruchettes ou le blocage de ponte de la reine. Cette dernière technique, adoptée principalement en Italie, consiste à encager la reine dans le courant du mois de juillet (mais idéalement à démarrer entre le 21 juin et le 15 juillet). Lors du dernier Colloque apicole de Capellen en avril dernier, Diego Pagani, apiculteur professionnel italien à la tête d’une exploitation de 700-800 colonies en bio, nous présentait son expérience par rapport à cette technique. L’encagement de la reine dure 24 jours après enlèvement des hausses. Ceci perturbe le cycle de reproduction du varroa. La technique demande néanmoins une certaine maîtrise pour que la reine ne soit pas considérée comme déficiente. Le principal inconvénient est le stockage de miel dans la chambre à couvain. Une autre méthode consiste à placer après récolte d’été une hausse à relécher sur le plancher surmontée d’une grille à reine et du corps de ruche. La reine est isolée pendant 23 jours dans la hausse de plateau où elle y pondra peu pendant que les jeunes abeilles s’occuperont du couvain dans le corps. Ensuite, elle est replacée dans le corps tandis que la hausse est retirée, les cadres brossés de leurs abeilles et le couvain en place détruit. Un traitement à l’acide organique par sublimation ou pulvérisation sera appliqué sur cette colonie démunie de tout couvain mais au développement boosté (équivalent à un essaim que l’on enruche).

Pour les traitements médicamenteux, c’est le moment de s’en préoccuper puisque leur application doit suivre la récolte d’été avant que les premières abeilles d’hiver ne soient nées. Celui-ci est d’autant plus crucial cette année qu’avec le manque d’hiver, l’élevage a repris très tôt permettant au varroa de se développer parallèlement jusqu’à un seuil de pression préoccupant. Ce traitement de longue durée correspondra à 2 cycles de couvain (soit 2 x 3 semaines) pour une efficacité optimale en espérant rencontrer des plages de température adéquates. Parmi les traitements enregistrés, la législation actuelle restreint le nombre de produits utilisables depuis qu’ils sont considérés comme médicaments. Ainsi seuls le Thymovar, l’Apiguard et l’Apilife Var forment l’arsenal à disposition en Belgique. Ces médicaments à base de thymol ne doivent pas faire l’objet d’une prescription car ils ne possèdent pas de LMR (Limite Maximale de Résidus). Une information récente de la Fédération Apicole Belge (FAB-BBF) signale que suite à des contacts avec l’Administration le distributeur de produits vétérinaires Alcyon va commander du Thymovar pour qu’il soit disponible chez les grossistes et chez les pharmaciens. Par contre, pour les autres produits qui n’ont pas d’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) en Belgique ; ils ne peuvent être obtenus sur prescription que s’ils sont autorisés dans un autre pays européen sous l’application des règles du système de la cascade.
Pour résumer, les traitements d’été autorisés en Belgique sont les suivants 4:

  • Thymol (Thymovar, Apilife Var) – disponible en pharmacie sans prescription,
  • Amitraz (Apivar) – via vétérinaire par le système de la cascade,
  • Tau-fluvalinate (Apistan) – via vétérinaire par le système de la cascade.

Dans le cadre du Programme d’étude du dépérissement en Wallonie mené durant la campagne 2011-2012 5, il apparaît que les traitements utilisés contre la varroase en été s’appuient d’abord sur le Thymovar (plus de 60% des traitements). Mais près de 10% des traitements restent inconnus : cela fait partie de la portion obscure de l’apiculture où chacun préfère utiliser la méthode qui lui semble la plus pragmatique mais parfois aussi la plus empirique. Ceci démontre le manque de médicaments vétérinaires disponibles en Belgique pour lutter contre la varroase. Pourquoi par exemple l’acide formique, largement préconisé en Suisse par exemple, ne fait-il pas partie des solutions accessibles aux apiculteurs ? Ce produit présente l’avantage de pouvoir toucher le varroa sous l’opercule (en présence de couvain). Il semble d’ailleurs être présenté comme une solution nouvelle au travers de la mise au point de différentes formulations commerciales comme le KombiAM, le Formidol, l’Apicure ou le MAQS (Mite away quick strips). Ces deux derniers produits se présentent sous une forme plus facile et plus sécurisée dans l’utilisation (gel de saccharide). Le MAQS vient de faire l’objet d’une communication à la faveur de son AMM récente en France. Ceci devrait permettre de pouvoir l’utiliser chez nous grâce à la règle de la cascade. Que dire aussi d’autres traitements comme l’extrait de houblon (dans le HopGuard) ou la lutte biologique à base de spores de champignons, toutes voies qui sont acceptées en agriculture biologique grâce au peu de résidus enregistrés. Que penser dès lors de la sélection d’une abeille naturellement résistante au varroa ? De même, pourquoi, contrairement à certains autres pays européens, n’y-a-t-il pas (plus) de soutien aux moyens de traitement préconisés ? Pourquoi y-a-t-il disparité entre pays lorsqu’on sait que tous ces médicaments sont en vente libre dans les commerces apicoles aux Pays-Bas ?

Puisque les campagnes de lutte organisée font partie du passé suite à différentes interventions engagées par l’Ordre des Vétérinaires, il serait opportun de pouvoir obtenir un encadrement vétérinaire à la hauteur de la problématique. Malheureusement, peu de vétérinaires se sentent à l’aise avec la matière apicole. Sur le site de l’Ordre, pas plus d’une dizaine de noms sont repris comme personnes-ressources (vétérinaires ayant un intérêt pour l’apiculture – soit après avoir suivi une formation de 4 heures (!) à la matière apicole). Par ailleurs, et depuis le 21 mars 6, la varroase n’est plus considérée comme maladie à déclaration obligatoire en Belgique. Elle était d’ailleurs dispensée de déclaration systématique avant cette date tellement elle était omniprésente sur l’ensemble du territoire. Mais la modification récente de ce statut a-t-elle aussi comme répercussion que l’encadrement vétérinaire est modifié ? Le vétérinaire est-il de ce fait disculpé de ce travers vis-à-vis de l’exercice de la médecine vétérinaire qui voudrait que ce soit lui et non l’apiculteur qui assure le traitement ? Passe-t-on à un système de « vente libre» pour les produits sans LMR? La varroase est la seule maladie pour laquelle un traitement médicamenteux est préconisé. Aussi, une meilleure communication aurait tout intérêt à nous éclairer sur l’application de ces règles où l’apiculteur praticien a quelque difficulté à s’y retrouver.

Mais au terme de toutes ces questions et avant tout traitement, il convient de se poser les bonnes questions :

  • Le traitement est-il en accord avec la réglementation ?
  • Risque-t-il d’entraîner des résidus (cire, miel), ceux-ci sont-ils mesurables ?
  • Y-a-t-il des dangers pour l’opérateur ?
  • Quels sont les dangers pour l’abeille ? Ces dangers sont-ils supérieurs aux bénéfices attendus?
  • Quelle est l’efficacité réelle du traitement ?

Que tout cela ne vous empêche pas d’effectuer une bonne saison apicole !

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Etude rapportée dans le récent ouvrage de Vincent Albouy et Yves Le Conte (2014). Nos abeilles en péril : p. 85
2. Résultats de cette étude récente publiés dans le dernier numéro de la revue Abeilles & Cie (n°160, p. 25-29)
3. Il semble pourtant que des formes de résistance localisées apparaissent déjà avec l’utilisation du Thymovar
4. Communication de Bénédicte Verhoeven (AFSCA) lors de la Journée de l’Apiculture à Namur le 26 janvier dernier.
5. Résultats dans la revue Abeilles & Cie, 5/2013, n°156 : 28-31
6. Arrêté Royal du 03/02/2014 désignant les maladies des animaux soumises à l’application du chapitre III de la loi du 24/03/ 1987 relative à la santé des animaux et portant règlement de la déclaration obligatoire.
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