Actualités apicoles 2014-05

Par Benoît Manet

« Belgique, cimetière des abeilles ». Ainsi titrait le journal L’Avenir du mardi 8 avril 2014 dans un article relatant les résultats d’une étude paneuropéenne sur l’état de santé des ruchers dans 17 pays de l’Union. Cette étude Epilobee communiquait les résultats des observations de 1350 observateurs ayant visité à trois reprises quelques 31800 colonies dans 3300 ruchers durant l’année 2012-2013. Et la Belgique se distingue (ici malheureusement) par le plus haut pourcentage européen de pertes hivernales avec 33,6%, soit 1 ruche sur 3 ! Si on cumule les pertes hivernales et estivales, la Belgique apparaît de nouveau le territoire le plus touché (avec un taux de mortalité de 42,5% !). L’étude s’est concentrée sur la présence d’agents pathogènes (bactéries, virus, acariens) : elle y retrouve sans surprise loques, varroase, nosémose et pointe également l’influence des conditions météorologiques particulières. Par contre, le rapport Epilobee n’évoque à aucun moment la responsabilité des pratiques agricoles. Les mots pesticides et autres mots en -cides en sont absents. Y aurait-il malice derrière cette occultation d’un secteur au fort lobbying ? L’Europe se retranche derrière un manque d’uniformisation entre les laboratoires d’analyses et le coût des analyses toxicologiques. Mais cet argument peut-il être entendu quand on sait que cette étude pèse quand même 3 millions d’euros, tout en imaginant une centralisation des échantillons vers quelques laboratoires de référence. Au final, alors que ce phénomène mondial de déclin des abeilles est connu des apiculteurs depuis les années 90, on nous ressert encore une étude qui nous dit ce qu’on dénonce, simplement nous permet-elle de suivre l’ampleur du phénomène. Et il ne s’agit ici que de mortalités alors que le phénomène se caractérise également par l’affaiblissement des colonies, ce qui n’est pas considéré dans cette étude. Un choix qui minimise la gravité du problème. La question est aussi de savoir si ce taux est acceptable dans l’absolu alors qu’il est en moyenne plus faible qu’attendu selon les représentants de l’Europe (sic !).

Epilobee

Epilobee

L’étude s’est poursuivie durant ce dernier hiver et nous attendrons avec intérêt les prochains résultats puisqu’on nous promet que les analyses sur les insecticides seront au programme. Ce manquement est d’autant plus évident qu’en même temps on y décèle des taux de mortalité variables entre pays avec une omniprésence des agents pathogènes mais à des seuils très bas semblant exclure la responsabilité unique des pathogènes dans les cas de mortalités constatés. Le climat ne peut expliquer à lui seul cette variabilité même si on y relève un gradient de mortalité Nord-Sud. Une autre cause doit inévitablement s’additionner à cette pression. Ainsi conclut l’Afsca dans son communiqué de presse : « la mortalité des abeilles domestiques est due à diverses causes, dont plusieurs ne sont pas encore (totalement) connues aujourd’hui… Le projet Epilobee n’a, en effet, étudié qu’un nombre limité de facteurs. » Ou comment expliquer que 46% des espèces de bourdons connues en Europe sont considérées comme ayant leurs populations en déclin par l’Union internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN). Ce sont les résultats d’une autre étude européenne sur les pollinisateurs STEP (Suivi et Tendances des Pollinisateurs européens). On y relève les causes de ce dramatique déclin au travers du changement climatique, de l’intensification de l’agriculture ainsi que de la pollution et de la fragmentation/perte d’habitats. Pour compléter cette actualité, citons également un rapport d’une étude indépendante commandée par Greenpeace à propos des pesticides agricoles et de l’effet « cocktail », c’est-à-dire la toxicité que développent plusieurs substances – ou leurs métabolites – lorsqu’elles se retrouvent ensemble. Réalisée dans 12 pays européens, cette étude a utilisé la matrice pollen qui sert bien de bio-indicateur de l’environnement puisque recueilli sur l’ensemble du territoire de butinage pour être ramené à la ruche par les butineuses. Les chercheurs y ont trouvé 53 substances toxiques différentes dans les échantillons de pollen et 17 dans le pain d’abeille : ce sont des insecticides agricoles mais aussi les produits utilisés dans la lutte contre la varroase (amitraze). On se rend compte de la complexité des associations possibles entre produits et des effets toxiques qu’ils peuvent engendrer. L’effet cumulé de deux substances peut se montrer plus important que s’ils étaient utilisés séparément et alors que leur mise sur le marché (AMM) ne se concentre que sur la toxicité de la seule substance dans les conditions d’essais sans tenir compte de la biologie particulière de l’abeille et de cet effet combinatoire.

A la veille des élections de ce 25 mai prochain, nous avons certainement à nous informer des programmes et idées des candidats. Ces élections auront un enjeu multiple puisque nous aurons à nous prononcer pour différents niveaux de pouvoir (régional, fédéral et européen) mais aussi au travers de nos choix pour les différents thèmes qui constituent notre quotidien : l’emploi, la santé, l’alimentation, la sécurité, l’aménagement du territoire,… Chacun de ces niveaux a aussi une responsabilité dans la défense de l’abeille et peut agir pour améliorer la situation. Bien sûr, nous avons connu le plan Maya au niveau régional, le Plan fédéral Abeilles et ses différentes actions au niveau fédéral, le retrait momentané de trois pesticides néonicotinoïdes et les différentes études autour de l’abeille financées par l’Europe. Mais au travers de toutes ces actions nécessaires mais tellement insuffisantes, ce vote doit aussi nous permettre de demander des comptes et de faire pression sur les candidats à la veille de ce scrutin. C’est ce que propose Pollinis au travers d’une pétition qu’il fait circuler pour le moment sur la toile. Cette mobilisation tend à dénoncer une tentative de réhabilitation des insecticides interdits par l’Europe au travers d’une proposition de soutien au secteur horticole portée par quelques députés sensibles, semble-t-il, aux lobbys de l’agrochimie. Mais au-delà de cette action, n’hésitons pas à interpeller nos candidats pour connaître leur point de vue et leur détermination dans la défense d’un environnement accueillant pour l’abeille.

Honeybee democracy

Honeybee democracy

Faire fonctionner l’outil démocratique du vote pour faire valoir nos choix. Ainsi, ce processus qui reconsidère notre avenir fait partie d’une démarche que l’homme considère avoir inventé et pourtant qui appartient aussi à d’autres sociétés comme celle des abeilles. C’est ce qu’a pu mettre en évidence un chercheur américain, Thomas Seeley, qui, pendant près de quarante ans, a étudié la danse frétillante de l’abeille pour en publier un admirable livre « Honeybee democracy », la démocratie des abeilles. Les observations de ce chercheur se sont surtout intéressées au processus de prise de décision du choix du lieu de destination durant l’essaimage. Tout comme les abeilles dansent par une danse frétillante pour communiquer la localisation d’une ressource intéressante, il en va de même pendant l’essaimage. Les éclaireuses en quête d’un endroit d’accueil présentant les caractéristiques utiles à la survie du groupe, dansent sur le dos de l’essaim pour communiquer leur découverte. Au départ, ce sont une vingtaine de sites, en des directions et des distances différentes. Ensuite, les éclaireuses qui sont convaincues par la danse de leur consœur vont aller examiner le site indiqué et, s’il leur paraît favorable, reviendront exécuter la même danse. Progressivement, après plusieurs heures, le nombre de sites proposés va diminuer aux sites qui obtiennent le plus de suffrages pour acquérir la majorité et finalement par consensus l’unanimité.
Essaim en formation

Essaim en formation
By Philippe Bajoit [CC-BY-NC-SA-3.0]

Mais il y va aussi d’un véritable débat contradictoire. C’est ce que l’équipe de Seeley a pu démontrer et publier récemment en 2012. En plus du phénomène de danse en faveur d’un site propice, ils ont relevé un phénomène d’inhibition par un signal stop exécuté par les danseuses les plus convaincantes pour faire adhérer les autres danseuses à leur découverte. A partir d’un certain moment, le choix s’établit sans leader. La majorité l’emporte dans le débat et l’ensemble des éclaireuses se rallient à la décision. Les éclaireuses entameront alors le chant du départ en frottant rapidement leur abdomen contre celui de leurs consœurs tout en faisant vibrer les muscles de leurs ailes. Ces sons en haute fréquence ressemblent à la sonorité d’une cornemuse. C’est le départ : l’essaim s’envole et gagne le lieu retenu. Pour Seeley, les ouvrières éclaireuses entament un véritable processus démocratique de prise de décision pour choisir le lieu de leur nouvel habitat – un choix qui aura, l’hiver venu, des implications en termes de survie. Il s’agit d’un processus de démocratie par délégation, la confiance que met l’essaim dans ses aînées pour les représenter et faire le choix vital. Tout comme le débat entamé par les abeilles a des similitudes avec une élection politique, avec plusieurs candidats (les sites d’accueil), des messages de campagne pour ces candidats (la danse frétillante), des individus qui sont dévolus à l’un ou l’autre de ces candidats (les éclaireuses défendant un site) et un ensemble d’électeurs neutres (les éclaireuses qui ne sont pas encore décidées pour un site).

Bien sûr en ce mois de mai, nos colonies auront tendance à se diviser, à entamer ce processus de l’essaimage. Pour l’apiculteur, c’est un moment où l’activité au rucher est intense. Et dans le lot des activités, il y aura à récupérer les essaims ou à les prévenir. Mais lorsque l’essaim sera devant nous, n’oublions pas de l’observer aussi pour ce qu’il nous apprend.

A suivre …

Benoît Manet

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