Actualités apicoles 2014-03

Par Benoît Manet

Début mars, début du printemps météorologique. Et pourtant depuis quelques semaines, tout pousse au renouveau : les oiseaux commencent à chanter, quelques bourgeons s’allongent, et déjà quelques floraisons. Les abeilles aussi ont ressenti cette clémence au point de tenter une sortie aux heures les plus douces de la journée. Une belle activité a été observée lors de ces journées bien ensoleillées. Phénomène inhabituel en ce début de saison qui prédit un développement du couvain avancé et qui entame sérieusement les réserves de nourriture. Certaines colonies seront à surveiller voire à suppléer par un pain de candi pour faire face à la pénurie.

Nitrawal

Nitrawal ASBL

Ce temps en décalage agit également sur les végétaux et les cultures. Depuis quelques semaines, apparaissent dans le paysage agricole, des parcelles aux fleurs jaunes. Il s’agit de cultures intermédiaires de moutarde qui faute de gel sensé les détruire continuent leur croissance et entament un début de floraison. Ces cultures, communément appelées CIPAN – ce qui se traduit par « cultures intermédiaires pièges à nitrate » -, ont cette faculté de retenir les restes d’engrais azotés et engrais de ferme distribués durant ou après la culture précédente de façon à ce qu’ils ne descendent pas en profondeur dans les sols. Cette gestion de l’azote vise à protéger les eaux souterraines de la pollution à partir de sources agricoles 1. Il en va notamment de la qualité de notre eau de distribution.

Depuis quelques années, les agriculteurs doivent utiliser ces cultures « engrais verts » dès après la récolte d’été. Les espèces utilisées peuvent être variées – graminées, phacélie, vesce p. ex. – mais parmi elles on retrouve surtout la moutarde qui présente différents avantages comme sa facilité de mise en place pour un moindre coût et sa destruction réputée facile, le plus souvent par le gel une fois que la température descend en-dessous de -5°C. Le hic cette année, c’est que l’hiver fut tellement clément que les jours de gelée blanche se compte à peine sur les doigts d’une main. Aussi, voilà que cette plante est déjà à la repousse et entame sa floraison. Pour éviter que le couvert ne soit trop important et trop lignifié, l’agriculteur doit intervenir sans délai pour limiter ce développement. Le plus souvent, il pratiquera le broyage mais il peut aussi avoir recours au désherbage chimique. Ainsi, la semaine dernière, un apiculteur de la région d’Ath constate que l’agriculteur voisin est en plein travail de pulvérisation alors que les abeilles sont au butinage. Aucune mauvaise intention mais une injonction ou tout au moins une recommandation des instances agricoles pour détruire ce couvert au moyen d’herbicides totaux (Roundup) en absence de gelée. Soit un sérieux décalage entre l’objectif poursuivi et les conséquences indirectes potentielles de ce genre d’avis.

Moutarde en mars 2014

Moutarde en fleurs le 10 mars 2014 (Hesbaye)
By Philippe Bajoit [CC-BY-NC-SA-3.0]

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cette culture de moutarde pose problème. En novembre 2011, les températures étaient tellement clémentes que les moutardes se sont mises là aussi à fleurir et que les abeilles ont commencé à rentrer nectar et pollen, pareils à une miellée. Cette reprise d’activité à cette période tardive de l’année a redémarré l’élevage tout en favorisant le développement du varroa, induisant sans doute une partie des pertes rencontrées. Pour éviter que les abeilles ne puissent profiter de cette aubaine d’arrière-saison qui risque de les mettre en contact avec des résidus de pesticides migrés au niveau des fleurs, la destruction de ce couvert intermédiaire est à présent autorisée à partir du 16 novembre plutôt que le 1er décembre. Une fois de plus, on se rend compte qu’il y avait déconnexion entre la politique visée et les effets non prévus du fait de son application.

Une réflexion est également demandée dans le respect de la faune de plaine afin d’éviter que ce couvert ne se transforme en piège. Tant qu’à le rendre obligatoire, il est demandé que cette culture intermédiaire puisse être utile à la biodiversité en général. En France, le programme Agrifaune 2 a étudié l’intérêt de ces cultures en fonction des sols, des cultures à emblaver, de l’intérêt faunistique et entomologique poursuivi pour mettre au point une méthode d’évaluation des mélanges proposés. Il s’avère dans tous les cas que l’utilisation de mélanges de 3-4 espèces est plus favorable à la diversité du gibier et des insectes. Sur base de ces essais, des mélanges labellisés ont été mis au point et commercialisés. Ce programme s’inscrit dans le contexte d’une alimentation diversifiée des abeilles pour une préparation adéquate à l’hivernage pour peu évidemment que ces ressources soient précoces et ne soient pas contaminées par des résidus de pesticides. Ceci devrait alimenter une réflexion dans la pérennisation d’un plan de soutien à l’apiculture dans le contexte wallon.

Autre fait : il y a quelques semaines, des chercheurs anglais 3 démontraient que nous étions en déficit d’abeilles sur le continent européen. Les abeilles connaissent une série de problèmes dont nous avons déjà parlés mais dans ce cas c’est la politique de promotion des agrocarburants qui est épinglée. Notre mode de vie est énergivore et nécessite d’envisager d’autres filières d’approvisionnement que le pétrole. Une partie de la production agricole est ainsi proposée comme une piste de solutions, au travers du développement des cultures oléagineuses. Ces cultures ont effectivement bien progressé en surfaces mais les butineurs nécessaires à la bonne pollinisation de ces cultures n’ont pas évolué de la même façon. Selon cette étude, on serait en déficit pour un tiers des colonies nécessaires à une bonne pollinisation de ces cultures (ce qui représente quand même 13 millions de colonies à l’échelle européenne !). Il est proposé d’augmenter les surfaces de ces cultures sans que la réflexion aille jusqu’à savoir comment faire pour que les populations de pollinisateurs soient suffisamment nombreuses et intégrées dans les zones de monocultures. Comme on le voit, que ce soit à moyen ou à long termes, le paysage agricole change drastiquement : disparition des légumineuses, des haies et bords de chemins, des prairies extensives, apparition/disparition des jachères, augmentation des cultures oléagineuses et fourragères. Dans ce contexte peu favorable à l’apiculture, nous devons obtenir que la nouvelle PAC considère les agents pollinisateurs comme une priorité de par les fonctions écosystémiques rendues.

Le problème des traitements herbicides sur les parcelles de moutarde en fleurs fera l’objet d’une question parlementaire à l’intention du Ministre de l’Agriculture Di Antonio. Nous serons attentifs à sa réponse.

Semaine sans pesticides 2014

Semaine sans pesticides 2014

Celle-ci arrivera sans doute par le bonheur du calendrier au moment de la Semaine sans pesticides qui se tient entre le 20 et le 30 mars 2014. Le slogan porté cette année : « Se passer de pesticides, c’est possible ». Sa réponse risque néanmoins de pâlir l’effet Maya qu’il avait voulu donner durant cette législature.

A suivre …

Benoît Manet

Notes:
1. Pour plus d’infos, voir le site de Nitrawal asbl
2. Voir par exemple l’article CIPAN: « Quand l’outil réglementaire devient un atout agronomique et faunistique » par B. Heckenbenner et S. de Pontbriand
3. Voir les travaux de Breeze TD, Vaissière BE, Bommarco R, Petanidou T, Seraphides N, et al. (2014) Agricultural Policies Exacerbate Honeybee Pollination Service Supply-Demand Mismatches Across Europe. PLoS ONE 9(1): e82996. doi:10.1371/journal.pone.0082996
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