Actualités apicoles 2014-01

Par Benoît Manet

En ce début d’année, j’aurais aimé vous offrir un bouquet de fleurs. Une abondance de formes et de couleurs composant la richesse d’un paysage. Une richesse d’effluves inondant le décor. Comme une toile impressionniste …

Mais qu’on ne s’y trompe … ! Si les fleurs sont chatoyantes, c’est parce qu’elles doivent séduire, être suffisamment attrayantes que pour faire venir l’insecte à elles. Lui offrir les ressources nécessaires en échange d’une assurance-vie : la transmission de ses gênes par la pollinisation à la fécondation et produire les fruits de sa descendance. Cette histoire complice remonte à 110-140 millions d’années où par une longue coévolution, les plantes à fleurs de mon bouquet, ont développé une grande diversité de formes avec plus de 250.000 espèces réparties sur les différents continents. C’est aussi lors de ce long parcours, il y a environ 20 millions d’années, que sont apparues les abeilles sociales comme l’abeille mellifère. Contrairement à d’autres, elle s’est intéressée à de nombreuses espèces florales différentes. Au travers d’une constance de butinage, elle est qualifiée de pollinisateur généraliste majeur dans l’évolution des plantes à fleurs. Et c’est seulement depuis peu, en fait depuis que les abeilles subissent le déclin, que le rôle de l’abeille est considéré à une plus juste mesure. Où l’on évalue son apport en termes de quantité de récoltes de fruits, de légumes. Un tiers de notre nourriture est dérivée de plantes dont les abeilles ont fécondé les fleurs. Tout autant en termes de diversité et de qualité des produits. Tout autant surtout dans la pérennité des plantes sauvages. Le tout en parfaite complémentarité des autres pollinisateurs que sont les autres abeilles, papillons, etc.

Vie et moeurs des abeilles

Vie et moeurs des abeilles,
Karl von Frisch

Et dans ce bouquet, nous y trouvons des fleurs de couleur. Mais, surprise, au travers de ses yeux à facettes, l’abeille ne perçoit pas ces couleurs comme nous les percevons. Puisqu’elle ne perçoit pas le rouge mais est sensible aux ultraviolets, les fleurs ont développé, de générations en générations, des adaptations pour elles aussi refléter ou absorber les ultra-violets. Et ainsi, ces couleurs qui nous sont invisibles s’adressent à d’autres yeux que les nôtres. De même que ces parfums sont destinés à d’autres que nous. C’est sur ces postulats que Karl von Frisch, célèbre scientifique autrichien, va essayer d’explorer la vision des abeilles dans les années 1920. A cette époque, il était considéré que les abeilles ne percevaient pas les couleurs. Plus tard, pendant la 2ème guerre mondiale, ses travaux se focaliseront sur ces comportements de danses, espèce de langage sans parole, qu’il tenta d’expliquer. Il découvrit que lorsqu’une abeille exécute une danse frétillante dans l’obscurité de la ruche, elle indique la localisation de la nourriture qu’elle vient de visiter. L’enthousiasme de ses découvertes permit de préciser cette forme de communication au travers d’un héritage relayé par une succession de chercheurs.

Dans la foulée, dans les années 50, Martin Lindauer, un élève de von Frisch, expliqua que cette danse avait aussi un rôle au moment de l’essaimage pour trouver une cavité d’accueil. C’est ensuite un élève de Lindauer, Bert Hölldobler, qui partira aux Etats-Unis pour travailler avec Edward Wilson sur les insectes sociaux. Enfin, il y aura Thomas Seeley, lui-même élève de Hölldobler, qui depuis une quarantaine d’années, continue de nous éblouir avec l’analyse de cette danse en tant que processus démocratique dans la prise de décision du choix de la cavité d’accueil sélectionnée durant l’essaimage. Ce n’est que lorsque la meilleure option a acquis l’adhésion de la grappe au travers d’un véritable débat contradictoire que l’essaim s’envolera après avoir émis un chant à haute fréquence.

Vie et moeurs des abeilles

La Vie des abeilles, Maurice Maeterlinck

Décision collective mettant en lumière des interactions sociales qui venaient troubler les théories de Charles Darwin quant à l’évolution d’une espèce dont l’essentiel des individus ne se reproduit pas. De 10.000 à 40.000 ouvrières travaillant collégialement dans l’élaboration d’un nid à l’architecture complexe et où apparaît une division du travail sans qu’il y ait pour autant un quelconque contrôle central. Ce que Maurice Maeterlinck qualifiera d’esprit de la ruche en 1901. Elle n’en est pas la reine au sens où nous l’entendrions parmi les hommes. Elle n’y donne point d’ordres, et s’y trouve soumise, comme le dernier de ses sujets, à cette puissance masquée et souverainement sage que nous appellerons, en attendant de découvrir où elle réside, « l’esprit de la ruche ».

The Spirit of the Hive - The Mechanisms of Social Evolution

The Spirit of the Hive – The Mechanisms of Social Evolution,
Robert Page

Cet « esprit de la ruche » que Robert Page a essayé de découvrir et rapporter dans la publication en 2013 d’un ouvrage majeur pour présenter le fruit de ses recherches au regard de la physiologie des ouvrières et de leur bagage génétique aboutissant à des interactions sociales en réponse à différents stimuli, notamment calqués sur les besoins en pollen.

Ainsi, il apparaît que les connaissances au sujet de l’abeille ont considérablement évolué au travers de ces deux derniers siècles et tout particulièrement au cours de ces 30 dernières années. Grâce à différentes équipes de chercheurs, ce qui apparaissait intuitivement a pu être expliqué : c’est surtout, grâce à l’essor de différentes disciplines comme l’utilisation du modèle abeille dans les domaines des neurosciences1 et de sociobiologie2, comme des travaux très récents en biochimie qui permettent de comprendre l’action de certaines substances telles la royalactine ou la vitellogénine3 sur le devenir des individus, comme le développement de la sémiochimie qui permet de traduire l’influence des phéromones sur ce superorganisme qu’est la colonie, comme l’importance de la génétique, en tant que réponse à l’organisation sociale de la ruche, notamment depuis que le génome de l’abeille a été décrypté en 2006, et de façon plus cynique, malheureusement, grâce aux différents travaux de toxicologie et de pathologie entamés depuis que l’abeille est en déclin.

Mais quelque soit le degré de connaissance au travers des époques, l’homme a depuis bien longtemps (~ 4.500 ans) été fasciné par l’abeille au point d’entamer avec elle un lien privilégié par l’apiculture, cet art d’élever les abeilles. Il est certain que ces nouvelles découvertes viennent parfois contredire nos certitudes et qu’elles modifieront notre approche de la ruche dans l’observation et la pratique. Il en restera toujours un éblouissement constant à cette forme d’organisation.

Alors, l’espace d’un instant, prenons le temps car il n’y a pas de temps sans mouvement, sans changement, mais prenons-le pour nous souhaiter des vœux de joies simples en cette nouvelle année. Que celle-ci nous apporte santé et bonheur au quotidien. Et surtout beaucoup de satisfactions avec notre passion ! Acceptons le bouquet pour que notre monde soit plus beau !

A suivre …

Benoît Manet

Notes:
2. Voir les travaux de Jürgen Tautz – notamment au travers de son livre traduit chez De Boeck Editions : L’étonnante abeille
3. Voir à ce sujet une synthèse publiée par le CARI dans Abeilles & Cie 147: les clés de la colonie
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