Actualités apicoles 2016-11

Par Benoît Manet

Règlements de comptes parmi les Hyménoptères

L’actualité de ces dernières semaines tend à les opposer, tantôt dans leurs rapports prédateurs/proies, tantôt au travers d’une concurrence entre les espèces.

Cette fois, on peut affirmer que le frelon asiatique à pattes jaunes est à nos portes. Plusieurs mentions le confirment à notre frontière. Des ouvrières ont été observées fin septembre dans la banlieue de Lille. Quelques jours plus tôt, c’était dans la région de Saint-Omer. Il faut dire que c’est à cette période que les colonies sont à leur maximum et que les ouvrières sont les plus visibles. Il n’aura pas fallu plus d’une dizaine d’années pour que le territoire français soit traversé. Leur origine vient d’une importation de poteries chinoises en 2004 déchargées dans le port du Havre (Lot-et-Garonne). Par ailleurs, la destruction d’un nid est également signalée dans le département de la Meuse près de Saint-Dizier. Il est la conséquence d’un deuxième front de colonisation qui a démarré depuis l’Allemagne en 2014 traversant tour à tour la Moselle et la Meurthe-et-Moselle. Ce double front de colonisation qui avance de 60 à 100 km par an lorgne son passage en Belgique. Un mâle de frelon asiatique avait déjà été observé en 2011 à Flobecq sans lendemain mais cette relative proximité en France et en Allemagne nous rappelle son arrivée.

Tout ceci survient à un moment où l’Europe, consciente des menaces que posent les espèces exotiques envahissantes sur la biodiversité, a officiellement adopté en juillet dernier une liste d’espèces pour lesquelles il y a lieu de prévenir l’introduction, d’éradiquer tant que faire se peut la présence, sinon d’en limiter l’expansion. Ce sont le plus souvent les activités humaines qui sont à l’origine de ces introductions : l’aquaculture, l’aquariophilie, l’horticulture ou la pêche. L’apiculture ne fut pas en reste en prônant des plantes très fréquentées par les abeilles comme la renouée du Japon ou la balsamine de l’Himalaya dont le pouvoir de colonisation est important au point de devenir envahissantes (invasives). Erreurs du passé et impossibilité de revenir en arrière. Cette liste de 37 espèces – dont une trentaine est implantée en Wallonie ou susceptible de l’être – vient d’être communiquée.

Un colloque dédié à cette thématique était organisé à l’occasion du Festival International Nature Namur (FINN) le 17 octobre dernier. Il fut l’occasion de porter un focus sur quelques-unes de ces espèces dites envahissantes (plantes aquatiques, écureuils). Une partie de l’après-midi a abordé le thème du frelon asiatique avec une intervention de Quentin Rome, chargé de recherches au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris (MNHN). Ce fut pour lui l’occasion de nous brosser quelques traits sur la biologie du frelon nous expliquant son cycle, sa reproduction mais aussi les recherches entamées par leur équipe sur l’origine géographique de cette sous-espèce, la modélisation de sa dispersion, le régime alimentaire.

On apprend ainsi que le frelon a une forte capacité de dispersion (de l’ordre de 40 km/jour pour les fondatrices), un développement conséquent permettant d’atteindre une population en moyenne de 6000 individus contenue dans un nid, le plus souvent en hauteur avec l’entrée en façade, pouvant atteindre 80 cm de diamètre avant de produire jusqu’à 500 futures reines et autant de mâles en automne. L’identification des proies a permis de mesurer l’impact d’un nid sur la biodiversité. Les ouvrières de frelons rapportent au nid des boulettes de proies destinées à nourrir les larves. Ces dernières sont composées principalement de Diptères (mouches), de guêpes communes et d’abeilles domestiques, les Hyménoptères représentant les 2/3 des proies rapportées. C’est toutefois une espèce opportuniste qui saura moduler ses repas en fonction de ce qui se présente, profitant par exemple de cadavres d’animaux ou de poissons et crevettes. Au niveau de la santé publique, ce fut l’occasion de démystifier les risques. Le frelon asiatique est peu agressif. Son nid est le plus souvent en hauteur, bien dissimulé. Sa piqûre est occasionnelle tant qu’il n’est pas dérangé. Une attaque massive peut toutefois survenir à proximité du nid. Le venin n’est pas plus dangereux que celui de la guêpe, le risque d’allergie étant même moins élevé que lors de piqûres d’abeilles. En matière de lutte, l’assistance des pouvoirs publics par une réponse rapide et des moyens efficaces est primordiale pour éviter les erreurs. Le recours à des opérateurs spécialisés est une garantie d’efficacité. Une destruction imparfaite peut par exemple amener à des nids de récidive avec une agressivité augmentée pour le voisinage. L’utilisation de pièges ou de produits doit se faire dans le respect des espèces non cibles. Pour l’immédiat, sa détection précoce permettra de ralentir son installation. La surveillance au rucher est évidemment un endroit privilégié. Mais aussi, l’observation des inflorescences de lierre à cette époque. Une floraison de toutes façons toujours intéressante par ses visiteurs (notamment l’abeille Colletes).

Et tant qu’à parler d’Hyménoptères et d’abeilles solitaires …

Autre fait : l’abeille domestique serait-elle tombée en disgrâce aux yeux des naturalistes et l’apiculture responsable d’une partie du déclin des pollinisateurs sauvages ? Il est vrai que face aux problèmes rencontrés par le secteur, un éclairage important a été porté autour de l’abeille. Souvenez-vous de cette phrase attribuée erronément à Einstein « Si l’abeille venait à disparaître de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que 5 années à vivre » mais qui a été reprise par tous les médias pour sensibiliser à la diminution importante des pollinisateurs. Cette prise de conscience a amené le politique à se positionner, par le plan Maya dès 2011 par exemple. Et de mettre ainsi l’abeille sur un piédestal qu’elle ne mériterait pas selon certains scientifiques, argumentant leur thèse sur les pratiques apicoles actuelles qui dénaturent au sens littéral et génétique l’abeille indigène (abeille noire – seule abeille à promouvoir)1 par introduction d’abeilles croisées, tout autant que la sélection et l’élevage, la transhumance, les traitements ou le nourrissement qui sont à la source d’une menace pour les abeilles sauvages. Il est vrai que l’apiculture d’aujourd’hui est bien différente de celle trouvée dans nos campagnes voilà quelques décennies. Le nombre de ruches l’est aussi, l’environnement tout autant. Les différents problèmes de diminution de la biodiversité dans les espaces agricoles ont conduit certains apiculteurs à se diriger vers des endroits moins dégradés. L’implantation de ruches dans les villes et dans certains espaces naturels protégés a certains avantages.

Ruche en environnement citadin

Ruche en environnement citadin
Source Apis Bruoc Sella

En ville, il y est peut-être question de mode mais plus fondamentalement, une place existe pour cette activité qui, outre ses dimensions pédagogique et sociale, bénéficie de la diversité des floraisons, parfois exotiques, du microclimat intra-muros et surtout de l’absence de pesticides agricoles. Des ruches sont accueillies dans les jardins particuliers ou publics, au sein des entreprises, sur les toits de certains édifices, produisant un miel typé, souvent plus abondant qu’à la campagne. A Bruxelles, la question d’une éventuelle concurrence avec les abeilles sauvages se pose en termes de surnombre de ruches. Déposer des ruches en réserve naturelle n’est pas mieux accepté. Une étude récente avance que l’utilisation de l’abeille domestique pose trois types de risques : une compétition pour la nourriture avec les abeilles sauvages, la transmission de maladies contagieuses et une modification de la flore pouvant aller jusqu’à la perturbation des paysages. Et d’arriver à la conclusion que les ruches devraient être évitées dans les espaces naturels. C’est aussi la position que Natagora a relayé dans un communiqué. Bien sûr, nous ne défendons pas des situations extrêmes comme dans le Parc des Cévennes avec la dépose saisonnière de ruchers professionnels provenant de tout le Midi de la France. Bien sûr, certaines pratiques sont à épingler et doivent nous amener à nous repositionner. Mais c’est là donner beaucoup de responsabilités à notre abeille à miel sur le devenir de 380 espèces d’abeilles sauvages présentes en Belgique et à l’aspect futur de nos paysages. A ces arguments, la question se pose de savoir si on ne se trompe pas de cible. Le débat devrait davantage s’orienter sur la qualité de notre environnement y compris en territoire rural et le porter comme objectif commun.

A suivre…

Benoît Manet

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