Actualités apicoles 2016-07

Par Benoît Manet

Saison particulièrement maussade que ce printemps qui tarde à passer pour faire place à l’été. Une saison qui fut particulièrement froide dans sa première période à la floraison des saules. Je me souviens d’échanges lors de l’excursion à Wanzoul où l’inquiétude et l’impatience régnaient. Le colza était déjà en fleurs et les jours passaient sans que le butinage ne puisse vraiment démarrer. C’était sans compter sur une plage de température plus clémente entre Ascension et Pentecôte qui a permis de rattraper le retard engendré par ces arrêts de ponte et profiter de la miellée de printemps 1. Mais tout aussi vite après et depuis, le mauvais temps n’a pas arrêté de se prolonger. Un complexe de basse pression traîne sur l’Europe depuis plus de 50 jours avec une pluviosité quasi quotidienne (253 mm et 37 jours de pluie sur les mois de mai et juin). Les faibles réserves après la récolte de printemps ont fait place à la disette avec de nouveaux arrêts de ponte, des mises à mort de mâles voire des signes de pillage. Et les floraisons de se poursuivre modestement sans que les butineuses ne puissent en profiter réellement : les fleurs de robinier se sont retrouvées au sol, les fleurs de tilleul ont été abîmées par les nuées d’orage, … Quand ce ne sont pas les ruches qui prenaient l’eau lors des crues ; je repense à cet apiculteur de Nassogne qui, n’écoutant que son cœur et son courage, a voulu sauver ses colonies de la montée des eaux et s’est lui-même vu emporter par ce torrent si soudain.

Les essaims sont pourtant sortis mais que donneront les jeunes reines alors que les conditions n’ont jamais été idéales pour garantir leur pleine fécondation. Un suivi attentif de leurs qualités les évaluera sous peine de remérage en fin de saison comme cela a pu se passer l’an dernier.

Sur l’autre côté de la balance, ces ruptures de ponte ont certainement affecté les populations de varroas. Le contrôle des cadres-témoins pondus en mâles laisse présager une faible charge en acariens. Cela correspond techniquement parlant au résultat attendu par l’encagement de la reine afin de perturber la reproduction des varroas. Mais au-delà, il faut déjà penser à l’avenir et permettre aux colonies d’avoir suffisamment de temps pour élever leurs abeilles d’hiver et entamer l’hivernage dans les meilleures conditions. Aussi, les hausses seront enlevées au plus tôt et un apport de sirop viendra stimuler le redémarrage des colonies. Pour ce qui est de la lutte contre le varroa, après contrôle de l’infestation, l’avis publié par l’AFSCA actualisant le plan de lutte proposé en 2016 servira de référence 2.

Et tant qu’à aborder l’aspect sanitaire, l’AFSCA lancera à l’automne un nouveau programme de surveillance de la santé des abeilles 3. Celui-ci visera la visite et la prise d’échantillons en 3 périodes distinctes au sein de 200 ruchers répartis sur le territoire national (auprès des apiculteurs enregistrés et sur base volontaire) afin de contrôler la prévalence des loques américaine et européenne, des nosémoses, la charge en varroas ainsi que la présence potentielle du petit coléoptère des ruches et de l’acarien tropilaelaps dans les zones proches des ports et aéroports internationaux. L’étude s’intéressera aussi à l’incidence des résidus chimiques (e.a. pesticides) par un prélèvement de pollen (enfin !).

Sur cet aspect lié aux effets des pesticides vis-à-vis de l’abeille, une dernière étude (publiée ce 10 juin 4) vient encore étayer l’incidence des néonicotinoïdes sur les populations d’abeilles. La gelée royale et la nourriture larvaire sont produites par les glandes hypopharyngiennes des nourrices et contiennent une haute concentration en acétylcholine (ACh), un neurotransmetteur bien connu. Cette substance joue un rôle important dans les premières phases de la vie en agissant sur la multiplication et la différenciation des jeunes cellules mais aussi en tant que régulateur des échanges entre cellules. Ce neurotransmetteur est extrêmement bien conservé dans ces sécrétions car le pH y est acide (proche de 4). Lorsque les nourrices sont soumises à une exposition aux néonicotinoïdes (clothianidine et thiaclopride dans l’étude), il est constaté que le pH de la gelée royale augmente (au-delà de 5,5) et il s’en suit une perte substantielle de l’acétylcholine (de l’ordre de 75 à 90%). Il est aussi observé que les cellules des glandes hypopharyngiennes des nourrices sont abîmées. Les conséquences se traduisent par un taux de survie du couvain qui est diminué. Les effets les plus connus des néonicotinoïdes portent en général sur le sens de l’orientation et les capacités d’apprentissage des adultes mais c’est la première étude qui met en lumière l’incidence possible sur le développement du couvain. Et comment s’en étonner puisque ces molécules ont la même action que la nicotine (d’où leur nom de néonicotinoïdes) sur le système nerveux. L’acétylcholine a deux types de récepteurs, qu’on dit nicotiniques ou muscariniques, selon le poison auquel ils sont sensibles. Tout comme la nicotine, les nicotinoïdes agissent dans le même sens que l’acétylcholine en tant qu’agonistes. Ils bloquent les récepteurs et perturbent le bon fonctionnement du système nerveux. Ici, l’action va au-delà puisque l’incidence dépasse l’hôte-cible par son action non neuronale. Les chercheurs allemands auteurs de cet article suggèrent que cet aspect nouveau de dégradation de l’acétylcholine soit dorénavant également abordé dans l’évaluation environnementale des pesticides.

Mais serons-nous entendus pour une limitation des pesticides les plus néfastes aux abeilles et à l’environnement ? Cela semble difficile quand l’Europe autorise à nouveau de nouvelles substances comme le sulfoxaflor et le flupyradifurone et qu’elle décide de prolonger unilatéralement le glyphosate pour une période de 18 mois sans qu’un accord majoritaire n’ait pu être obtenu de la part des états membres (malgré 3 réunions sur le sujet) et alors que de nombreux citoyens européens ainsi que des apiculteurs s’étaient pourtant prononcés pour un changement de modèle agricole. Cette décision prise dans la confusion du Brexit profite une fois de plus aux grands fabricants de pesticides et met le doute sur le jeu démocratique de l’Union. Alors qu’un référendum parvient à peser sur la sortie d’un pays, l’avis des citoyens pourtant exprimé dans la rue et par plusieurs sondages et pétitions ne parvient pas se faire entendre. Cette décision arrive néanmoins comme une réponse de la dernière chance tout en invoquant une mesure « de protection sanitaire » pour la justifier 5 et permettre ainsi une nouvelle évaluation de l’Agence des produits chimiques (ECHA). Nous comptons sur la parole de nos élus qui tant à Bruxelles qu’en Wallonie – et malgré le soutien répété du Ministre Borsus à la cause du glyphosate – ont déclaré vouloir interdire les herbicides qui en contiennent au niveau régional. Dont acte.

A suivre…

Benoît Manet

Notes:
1. Contrairement aux autres années, il semble que les rentrées de miellat ait aussi contribué à la récolte de ce printemps ce qui explique la cristallisation étonnamment lente.
2. Avis de lutte contre la varroase 2016 : une approche uniforme en Belgique. Revue belge d’apiculture, 78 (4) : 108-112 ou site web AFSCA – (26 janvier 2016)
3. Santé animale – abeilles – point 12 : HealthyBee
4. Wessler, I. & al. 2016. Honeybees Produce Millimolar Concentrations of Non-Neuronal Acetylcholine for Breeding : Possible Adverse Effects of Neonicotinoids, PLos ONE 11(6) : e0156886. Doi :10.1371/journal.pone.0156886
5. Voir la communication du commissaire Andriukaitis, à l’issue du Conseil « Agriculture et pêche » à Luxembourg (à partir de la 8ème minute)
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